Sur la platine

Alpaka Records : le lama de la Baltique

Focus sur le jeune label polonais de Gdańsk.


Né à Gdańsk en 2015, le label Alpaka Records s’est donné pour mission de relater la grande vivacité de la scène alternative de la ville, à l’image de ce qui se passe depuis quelques années en Pologne. Repéré il y a peu grâce au dernier album du violoniste Tomasz Chyła, le label fait la part belle à de nombreux artistes polonais qu’il faut découvrir de toute urgence. Petit panorama d’un nouveau venu qui compte dans le radar des musiques créatives.

Parmi les très belles découvertes que propose Alpaka Records, le quartet de Michał Bąk est à mettre tout en haut de la liste. On y retrouve Sławek Koryzno, le batteur présent sur Da Vinci et point commun à de nombreux disques du label, mais c’est sans conteste le contrebassiste et leader qui attire immédiatement l’oreille. Le propos de Fortress, dernier album en date, est assez limpide, presque autant que le son de la contrebasse sur « Delivrance » qui ouvre l’album avec beaucoup d’à-propos ; très marqué par la musique écrite occidentale classique et contemporaine, ce morceau expose des motifs répétitifs qui sont confiés aux deux soufflants, le saxophoniste Jakub Klemensiewicz et le trompettiste Emil Miszk sur lequel la base rythmique s’engage dans un mouvement particulièrement raffiné, notamment grâce au lyrisme de la trompette.

C’est d’ailleurs cette relation forte entre Miszk et Bąk qui tangente tout l’album. On est nécessairement conquis par le travail d’archet du contrebassiste sur le très beau « Armati Si Vorrei » de Haendel. D’abord pétri d’une connaissance évidente de la musique ancienne, le morceau est transporté progressivement dans une lecture très contemporaine, notamment grâce au travail sans fioriture de Koryzno. Michał Bąk et ses compagnons sont toujours sur une ligne de crête entre improvisation très libre et approche plus canonique, à l’instar de ce que Tilo Weber peut proposer avec Four Fauns. Une tendance de fond dans l’Europe Centrale et la Baltique ? À l’évidence, un morceau comme « Healing », construction subtile des vents autour d’un très profond solo de Bąk, le confirme sans détour.

On retrouve Emil Miszk et Sławek Koryzno, décidément les deux fomenteurs en chef du label Alpaka, dans Bled, ode rétrofuturiste aux sons de l’espace. Ce goût pour les motifs répétitifs, perçu par instants dans Fortress, est ici au centre du propos, tout comme une électronique qui ne tombe pas dans le piège du vintage. Lorsque les sons s’emballent, à la toute fin du très beau « Vladimir », c’est après une construction des plus subtiles. Certes, la batterie de Koryzno s’amuse dès le départ avec une boucle simpliste, mais c’est le point de départ d’une odyssée immobile que Miszk se charge de rendre chevaleresque. On retrouve une tout autre ambiance dans « Room 32 », rendue irrespirable et close par une rythmique instable et omniprésente. Bled est un cinéma permanent, nourri par la Science-Fiction et qui trouve son aboutissement dans « Pilgrims », long morceau final où les claviers et autres dispositifs électroniques prennent le dessus, comme un nouveau territoire à conquérir ; l’aspect cinématographique de cette musique n’échappera à personne. Le dernier-né de ce très intéressant label est l’illustration d’une musique qui ne s’interdit rien.