Chronique

Eric Plandé

Touching

Eric Plandé (as, ts, fl), Uwe Oberg (p), Peter Perfido (dms)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

De manière irrégulière, le saxophoniste Eric Plandé, installé en Allemagne depuis de nombreuses années, se rappelle au bon souvenir de l’Hexagone. Bien trop intermittent, sans doute, pour ceux qui ont en mémoire, il y a une décennie environ, un magnifique Abyss en compagnie du regretté Jacques Mahieux et de son fils Nicolas, ainsi que de Claude Barthélémy. Sur l’autre rive du Rhin, Plandé a développé un important réseau au cœur de cette scène intarissable, et même au-delà : c’est ainsi que, si on l’a entendu avec Joachim Kühn dans le remarqué Between The Lines, il a également enregistré Human Nature avec le pianiste américain Bob Degen en 2011.

Le ténor et soprano ne dédaigne pas non plus la flûte, comme on le constate dans le mystique « Awaken » qu’il présente avec son nouveau trio, marqué à la fois par l’Allemagne et les rencontres transatlantiques. Le jeu pugnace et résolument coltranien de Plandé (« New Revolution » tient du manifeste) évoquera, par petites touches, celui de Manuel Hermia, notamment dans son solo « Philosophic Stone », intense et ardent sans se laisser aller à un lyrisme superflu. A ses côtés, le musical batteur Peter Perfido, habitant également outre-Rhin, est merveilleusement complice avec le pianiste Uwe Oberg, qu’on a pu écouter récemment avec Silke Eberhard. Ces deux musiciens conçoivent pareillement la construction du matériel improvisationnel, fait de gestes parfois minimalistes qui, agglomérés, deviennent une trame solide, surtout dans un contexte de trio sans basse. Sur « Macrobiotic Mood », qui s’ouvre sur le timbre chaleureux d’Eric Plandé, l’axe piano-batterie est un trésor de raffinement : Oberg va chercher, main droite, quelque connivence avec les cymbales de Perfido pour créer un mouvement imperceptible et perpétuel au cœur des cris du saxophone.

Touching ne s’intitule pas comme cela uniquement parce que l’orchestre reprend le morceau-titre d’Anette Peacock, dont Oberg est décidément très proche [1]. Certes, « Touching » est le morceau de l’album où le trio offre sa plus belle dynamique, mais c’est l’aspect le plus charnel qui est ici convoqué. La musique de Plandé peut être abrupte (« Darkness From You »), voire brusque lorsqu’elle laisse place à l’improvisation collective - ainsi « Chaos », où le saxophone affronte un piano devenu implacablement rythmique - mais elle conserve une finesse et un bouillonnement qui la rendent absolument vivante.

par Franpi Barriaux // Publié le 26 juin 2016

[1La pianiste apparaît aussi sur Turns, et l’allemand interprète « Touching » dans son solo Twice, At Least.