Chronique

Lee Konitz & Albert Mangelsdorff

The Art of Duo

Lee Konitz (as), Albert Mangelsdorff (tb)

Label / Distribution : Enja Records

Lorsque Lee Konitz enregistre Art of Duo avec Albert Mangelsdorff pour Enja en 1988, ce n’est pas, et de loin, la première rencontre entre le saxophoniste chicagoan et le tromboniste de Francfort. La vraie, la décisive, s’est faite trente ans auparavant en compagnie du guitariste hongrois Attila Zoller pour le disque Zo-Ko-Ma. Comme Konitz, Mangelsdorff a eu Tristano comme boussole primitive. Comme Konitz, il a rapidement opté pour une ouverture progressive mais inéluctable des formes vers des expressions plus libres. Un morceau comme « Matti’s Matter », où l’alto semble s’échapper en sautillant du maelstrom polyphonique du trombone, l’illustre parfaitement  : le saxophone jouit de toute sa fluidité pendant que le son résolument inimitable de Mangelsdorff trace des traits bâtisseurs sans pour autant chercher à tout bousculer, voire à affirmer une grande liberté rythmique quand, en quelques glissements de coulisse, la mélodie se fait aussi simple qu’efficace. Mais tout de même, cette technique polyphonique, ce growl maîtrisé est à coup sûr l’allié idéal de Konitz, son contrepoint, à bien des titres.

La tradition n’est jamais loin dans cet Art of Duo. « Creole Love Call », morceau d’Ellington, est au centre de cet album et représente à plus d’un titre son point d’équilibre. Mangelsdorff tient une rythmique en constant mouvement pendant que Konitz semble sauter de note en note avec une insouciance pleine de souplesse. Il en va de même avec le piquant « She’s As Wild As Springtime  » où les soufflants semblent se poursuivre gaiement sans chercher à se battre à la course, jouant même volontiers à l’unisson. Il ne s’agit jamais de se mesurer ou de prendre l’ascendant ici. Il y a une concorde, une joie, une compréhension mutuelle.

Il est indéniable que la forme en duo, chère à Konitz, ne pouvait pas mieux s’exprimer ici. C’est un art, en effet : « Cher ami » en est certainement le meilleur exemple, où chacun parle en même temps sans se contredire ni même imposer son discours. C’est sans doute ce qui fait de ce jalon important de la collaboration transatlantique un disque impérissable, et qui peut difficilement être daté. Il a été enregistré dans les années 80, quelques mois avant un autre duo, avec le pianiste John Taylor (Songs of the Stars). Il construit une musique chambriste de l’instant, libre et très élastique. Sans aucune ride.