Scènes

Tout (ne) va (pas) bien en Amérique

Tout va bien en Amérique, un spectacle théâtral et musical aux Bouffes du Nord.


Aux Bouffes du Nord à Paris, le metteur en scène David Lescot et le pianiste Benoît Delbecq ont imaginé un spectacle chanté/parlé où les images et les sons accompagnent les mots, pour raconter l’Amérique par morceaux choisis, de la conquête indienne à la ségrégation. Inégal.

À l’avant-scène, un piano à queue, une table de mixage, des micros, une batterie, et juste derrière, au fond de la scène, un balcon surplombé par un écran qui monte jusqu’au très haut plafond des Bouffes du Nord : le dispositif scénique annonce ce qui va suivre, un spectacle chanté/parlé où les images et les sons accompagnent les mots. L’histoire de l’Amérique défile par morceaux choisis ; elle commence avec La Lettre sur la découverte du Nouveau Monde lue par la maîtresse de cérémonie Irène Jacob, au micro face public à l’avant-scène, où Christophe Colomb raconte que les colons ont été accueillis comme des dieux vivants par les Indiens. Elle se termine sur le poème de Walt Whitman (« Sur les Rives de l’Ontario bleu »), après être passée par les réserves indiennes, l’esclavage, la ségrégation ou encore la mafia italienne sur la côte Est pendant la Prohibition. Tous épisodes peu glorieux qui dessinent une contre-histoire qui n’en est pas vraiment une (pas en France en tout cas), traités sous des formes qui complètent le tableau : music-hall, gospel, « minstrel song », « worksong », claquettes… Et, d’une certaine manière, du choc entre l’horreur de ce qui est dit et la beauté du spectacle naît la complexité de l’histoire des Etats-Unis — qui est elle-même une histoire-spectacle.

Tout va bien en Amérique ne s’aventure guère au-delà de la Seconde Guerre mondiale. Quel est alors le lien avec le présent ? Le slammeur américain Mike Ladd, qui introduit le tout avec sa propre histoire, peuplée d’ancêtres blancs, noirs et indiens. Où l’on comprend d’emblée que le métissage est au cœur du propos — et comment pourrait-il en être autrement sur une scène où Américains et Français parlent ensemble, à Paris, de l’histoire d’un pays lointain, avec du rap, du rock, du jazz ? Sur le côté, le pianiste Benoît Delbecq, grand improvisateur qui frôle la musique savante, donne le ton. Dans la salle, le metteur en scène et auteur David Lescot regarde son œuvre avant de s’autoriser une apparition à la trompette, à la toute fin : ce n’est pas son premier essai, puisqu’en 2007, dans sa pièce L’instrument à pression (mise en scène Véronique Bellegarde), avec Jacques Bonnaffé et Médéric Collignon, il imaginait déjà un parcours théâtral et musical lié au jazz. À côté de ces héritiers naturels de la culture occidentale classique, on trouve le rappeur français D’ de Kabal ou la chanteuse de gospel américaine Ursuline Kairson. De nombreuses formes artistiques se rencontrent harmonieusement sur scène, et là est la grande réussite du spectacle, et surtout des musiciens : avoir su composer et diriger une musique à la fois scénique et théâtrale, mélangée et ouverte [1].

Il est d’autant plus regrettable que la partie visuelle ne suive pas toujours, avec des vidéos (Eric Vernhes) peu stimulantes, dont on se demande parfois ce qu’elles viennent faire là, des épisodes historiques qui se succèdent sans dramaturgie claire, et une conteuse principale (Irène Jacob) meilleure comédienne que conteuse. Par ailleurs, Ursuline Kairson n’est pratiquement pas mise en avant, et ce sans raison apparente. Heureusement, les rappeurs et les musiciens sont là pour mettre un peu de couleur : Steve Argüelles à la batterie et Franco Mannara à la guitare (également au jeu et au chant — excellent en mafieux italien !) accompagnent Benoît Delbecq.

par Raphaëlle Tchamitchian // Publié le 1er avril 2013

[1Ils sont cinq à se partager les compositions : Benoît Delbecq, D’ de Kabal, Mike Ladd, Franco Mannara et Steve Argüelles.