Avoir 20 ans à Paris en Grands Formats
La fédération des Grands Formats fêtait ses vingt ans à la Maison de la Radio.
Kami Octet © Franpi Barriaux
Pour ses vingt ans, la Fédération des Grands Formats recevait à Paris pour son habituel temps fort de la rentrée, repoussé cette année à quelques jours de la trêve des confiseurs, pour s’offrir l’une des plus belles salles de la capitale, le Studio 104 de la Maison de la Radio, avec à l’affiche le Kami Octet de Pascal Charrier et le Tentet de Laurent Cugny. La veille, à la fabuleuse Médiathèque musicale de Paris, Grands Formats scellait son engagement européen avec Think Big en invitant le Jazz Station Big Band bruxellois. Retour sur l’anniversaire d’une fédération indispensable, dans un secteur où l’engagement personnel comme institutionnel n’est pas un vain mot.
L’engagement, voilà qui est également cher au cœur de Stéphane Mercier, le chef d’orchestre du Jazz Station Big Band (JSBB). L’orchestre belge est lié à la salle de Bruxelles dont il porte le nom. Dans le rang des musiciens, il y avait de l’envie, et une joie certaine de se produire à Paris, dans ce lieu si inspirant qu’est la Médiathèque Musicale de Paris, avec en prime des invités qui marquent le tropisme européen de Grands Formats : le remarqué chef d’orchestre du Clasijazz espagnol Daahoud Salim [1] et son homologue italien du Tower Jazz Composer Orchestra. L’occasion de montrer toute l’envie et la force de frappe d’un orchestre qui aime le groove mais ne perd jamais totalement ses racines fanfaronnes, à l’image de la ligne de trombones où s’illustre David de Vrieze.
- Pauline Leblond © Franpi Barriaux
Quand il joue ses compositions, le JSBB les déroule avec un classicisme bien compris, avec des solistes de talent comme la trompettiste (à suivre) Pauline Leblond ou l’excellente saxophoniste baryton Hanne de Backer. Le reste démontre l’importance de la connexion entre le chef d’orchestre et la matière, la pâte orchestrale à malaxer : Dahood Salim, d’un geste minimal des vertèbres, infléchit l’orchestre, lui donne une autre couleur, plus douce ; Pietro Bittolo Bon quant à lui est plus adepte des grands gestes et d’un goût pour la comédie qui provoque la rupture, jusqu’au déchirement ; avec des solistes italien (le saxophoniste Filippo Orefice) et espagnol (le brillant trompettiste Julián Sánchez) et quelques jours de répétition, le JSBB a montré toute l’importance du dialogue européen.
Le samedi célébrait les vingt ans de la Fédération à la maison de la Radio, un lieu empreint d’histoire et à l’acoustique fantastique. Après des débats qui prolongeaient la direction prise la veille [2] et concluaient sur le nécessaire besoin d’investir les champs de l’éducation et de l’acculturation des publics [3] - ce que des musiciens de la fédération avaient appliqué in situ la veille au CRR de Paris avec des élèves de Jean-Charles Richard - Alexandre Herer, l’actuel président de Grands Formats invitait les fondateurs (Patrice Caratini, Jean-Rémy Guédon) et les anciens présidents (Fred Pallem, Fred Maurin) à prendre la parole et à réaffirmer l’implication de la Fédération dans la promotion des grands ensembles mais aussi des collectifs, avec la remise en circuit des Collisions Collectives qui marqua ce que nous avions appelé la République des Collectifs, une création en réseau d’évènements et de collaborations.
- Kami Octet © Franpi Barriaux
Et comment mieux fêter vingt ans de musique en Grands Formats qu’avec l’invitation de deux orchestres au Studio 104 ? Le premier de ceux-ci est le Kami Octet de Pascal Charrier, venu présenter son très beau Workers, avec Émilie Lesbros au chant, particulièrement en verve ce soir-là. Circulation entre des musiciens très soudés, direction à la fois très libre et extrêmement soucieuse de la cohésion collective, le Kami a pu démontrer toute sa plasticité. Si c’est avant tout l’orchestre qui ressort de cette prestation, notons tout de même quelques individualités : d’abord le pianiste Paul Wacrenier, toujours juste dans son travail de ferment, de liant, et le tromboniste Simon Girard par sa puissance et son envie. Le Kami Octet est de ces orchestres qui s’intègrent parfaitement dans une certaine histoire du jazz français, à la fois pugnace et joliment luxueux, notamment grâce à de patients orfèvres comme la contrebassiste Leïla Soldevila qu’on aimerait tant voir dans davantage de projets. Ce qui compte dans Kami, et Pascal Charrier en est le patient garant, c’est l’énergie contrôlée, scénarisée parfois dans une échappatoire free, qui peut jaillir de n’importe où… Et plus sûrement du saxophone de Julien Soro ou de la clarinette basse de Jean-Brice Godet, remplaçant de luxe dans la formation.
- Zeitgeist © Franpi Barriaux
L’autre groupe convié au 104 était le tentet de Laurent Cugny et son programme Zeitgeist, tourné vers les musiques électriques chères à Miles Davis ou à Joe Zawinul, capturées par ce qui peut se résumer en un all-star band rompu à tous les exercices. On se souvient du passage de Laurent Cugny à l’ONJ - c’était il y a presque trente ans -, et de la solidité de l’orchestre. Quelques décennies plus tard, on retrouve inchangé ce goût pour la scène, comme est inchangée la fidélité de musiciens tels que Stéphane Guillaume aux anches ou Stéphane Huchard à la batterie. Le concert est millimétré, avec une efficacité qui fait sensation ; les trois claviers présents (Laurent Coulondre et Pierre de Bethmann s’ajoutent à Cugny) font mousser une électricité sur laquelle surfe la guitare souvent rageuse de Manu Codjia. Ce fut précisément le cas dans cette reprise à l’os de « I Want You » des Beatles qui permet toutes les hyperboles du guitar hero, bien soutenue par une ligne de soufflants où s’illustrent Quentin Ghomari et Martin Guerpin. On pouvait craindre quelque chose de très rigide pour ce type d’exercice, mais le talent des forces en présence permet de surmonter les cadres et les références. C’est encore une fois un beau panorama que présente Grands Formats, dans une salle comble…
Preuve que la prescription et l’audace de programmation marche, pour qui veut s’en donner la peine.