Chronique

Alexander Hawkins Mirror Canon

Break A Vase

Alexander Hawkins (p, sampler), Neil Charles (b, g basse), Stephen Davis (d), Richard Olátúndé Baker (talking drum), Otto Fischer (g), Shabaka Hutchings (sax, fl)

Label / Distribution : Intakt Records

Texte en français

Le plus récent album de l’omniprésent pianiste Alexander Hawkins (1981), originaire du Royaume-Uni, a beaucoup à offrir.
Des titres comme « Faint Making Stone » (tiré du poème « Sound » du grand poète Robert Creeley) et « Chaplin in Slow Motion » (tiré du livre Le Football, ombre et lumière d’Eduardo Galeano et qui fait référence à l’ultime magicien du football Manuel dos Santos alias Garrincha) frappent déjà fortement l’imagination.

Il s’agit du sixième album de Hawkins sur Intakt depuis 2017 et de la suite de son album duo Soul in Plain Sight avec la saxophoniste allemande Angelika Niescier (1970). Break A Vase est une affaire tout à fait joyeuse concrétisée par un excellent line-up comprenant deux percussionnistes, Stephen Davis à la batterie et Richard Olátúndé Baker aux percussions africaines, Neil Charles à la contrebasse et à la guitare basse acoustique, Otto Fischer à la guitare électrique et Shabaka Hutchings, anches et flûte - un sextet au nom programmatique et qui, à côté des références littéraires, a Bach et Braxton comme sources profondes d’inspiration. Les auditeurs friands de dynamiques élevées et variées, de tournures exaltantes, et les adeptes de motifs rythmiques sophistiqués, délicats et d’une grande fluidité seront pleinement satisfaits.

Cette musique est une expédition au paradis des rythmes sophistiqués, superposés, croisés et décalés, un voyage dans des mouvements traînants, boitillants, dandinants, titubants, saccadés, sautillants, planants, itinérants - une grande variété d’allures. Sont absents, bien sûr, le défilé sur le podium, la relève de la garde et les trébuchements des marins ivres.
Mais, bien sûr, il ne s’agit pas d’un catalogue, mais d’un parcours musical en dix morceaux, effectué au moyen d’orchestrations riches et colorées dans un flux florissant qui repose sur des formes structurées et se déploie le long d’une ligne clairement tracée où le rythme et la mélodie s’entrelacent. Il présente une alternance dynamique de haute voltige et de chutes, des moments de renversement palpitant et d’embrasement soudain, une combinaison ludique de précision chronométrique, de passages en fondu enchaîné et d’échappées déstabilisantes vers un équilibre.
C’est le jeu passionné de Hawkins avec la combinaison imbriquée des canons qui génère les résonances suggestives au-delà et au-dessus des lignes jouées de manière vive et précipitée par les musiciens présents.

Une des caractéristiques de ce travail est qu’il s’agit d’un distillat bien pensé à partir d’expériences vécues lors de nombreux concerts au cours de la période récente, marquée par une hyper-réglementation exceptionnelle. Dans ce processus multiforme, par exemple, la pièce 10 « Even the Birds Stop to Listen » est basée sur une commande de Nadin Deventer (Jazzfest Berlin) conçue d’abord comme « Sunnosphere » par Hawkins et Siska, Matthew Wright et Shabaka Hutchins, et finalement réalisée en direct par Siska, Nick Dunston et Lina Allemano à Berlin. On constate que Hawkins fait preuve d’une grande habileté dans le choix et l’utilisation de ses moyens, comme l’électronique subliminale dans le saisissant « Stamped Down, or Shovelled ».
Pour répondre à la grande question de savoir si et comment l’architecture de Bach et le luxuriant bourgeonnement labyrinthique de Braxton peuvent se croiser par l’intermédiaire de ces musiciens, le mieux est de vous immerger dans la musique - sur vos écouteurs ou mieux encore, espérons-le bientôt, en direct sur une scène bien vivante.

« Stamped Down, or Shovelled » évoque des disques en rotation et qui se superposent en partie, quelque chose entre Steve Coleman et Henry Threadgill, qui offre beaucoup d’espace et de possibilités pour les musiciens. Trois solos en ressortent, un de Shabaka au saxophone, un de Hawkins au piano avec un effet de clavecin (induit par des aimants sur les cordes) et un de Richard Olatunde Baker, principalement au talking drum, qui s’arrête brusquement, marquant ainsi la fin de la pièce. « Sun Rugged Billions » commence par une fine intro à la flûte de Shabaka Hutchins, rejointe par le piano préparé tintinnabulant de Hawkins. La musique se dérègle de plus en plus, se bloque, s’effrite presque ou se libère à nouveau - l’irrégularité comme état d’être.

Dans « Generous Souls », le piano est central et sert de support à des moments de rotation, à l’apparition/disparition alternée de sous-groupes instrumentaux convergents ou divergents. Des interventions fracassantes de Hutchings au saxophone surgissent et un brillant solo de guitare d’Otto Fischer se mêle à l’ensemble en mouvement. Une excellente idée aussi de laisser la guitare basse acoustique de Neil Charles jouer la fonction d’un tuba. « Faint Making Stones » est une belle pièce richement orchestrée, stupéfiante, qui évoque pour moi des souvenirs de « Stolen Moments » d’Oliver Nelson. Le titre de la pièce de Hawkins est tiré du poème The Sound de Robert Creeley, mon poète préféré de longue date :

Early mornings, in the light still
Faint making stones, herons, marsh
grass all but indistinguishable in the muck,
 
one looks the far side, of the sound, the sand
side with low growing brush and
reeds, to the long horizontal of land’s edge
 
where the sea is, on that
other side, that outside, place of
imagined real openness, restless eternal ocean

« Chaplin in Slow Motion » est une pièce imaginative qui tient son impact d’un contraste des deux mains au piano et de celui entre le piano et la composante basse-percussion qui évoque le sentiment magique d’un slow motion shuffle. La démarche de Charlie Chaplin, ce dandinement qui parle, est un phénomène artistique de premier ordre, plein de musicalité en soi. C’est formidable d’avoir ici l’image telle qu’elle a été transformée par l’écrivain uruguayen Eduardo Galeano qui l’a appliquée au magistral footballeur Garrincha : « Il marchait le regard baissé, Chaplin au ralenti, comme s’il demandait pardon pour le but qui avait mis toute Florence debout. »

Break a Vase est un album que l’on peut commencer à écouter à partir de divers points et qui vous entraînera sans cesse dans de nouveaux itinéraires de circulation.

Englis text

The newest album of ubiquitous pianist Alexander Hawkins (1981) from UK has a plenty to offer. Titles as « Faint Making Stone » (coming from the poem “Sound” of great poet Robert Creeley) and « Chaplin in Slow Motion » (coming from Eduardo Galeano’s book Football in Sun and Shadow and referring to ultimate soccer magician Manuel dos Santos aka Garrincha) appeal already strongly to the imagination.

It is Hawkin’s sixth album on Intakt since 2017 and a follow-up to his duo-album Soul in Plain Sight with German saxophonista Angelika Niescier (1970). Break A Vase is a fully joyful affair brought into reality by a great line-up comprising two percussionists, Stephen Davis on drum set and Richard Olátúndé Baker on African percussion, Neil Charles on double bass and acoustic bass guitar, Otto Fischer on electric guitar and Shabaka Hutchings, reeds and flute - a sextet with a programmatic name and, next to the literary references, Bach+Braxton as a deep source of inspiration. Listeners fond of variate high dynamics with exhilarating turns as and well as listeners fond of sophisticated tricky rhythmical patterns and great flow will fully and satisfactorily be served.

The music is an expedition into a wonderland of sophisticatedly layered, crossing and offset rhythms, an expedition into dragging, limping, waddling, lurching, jerking, sauntering, hovering, roaming ways of motion - a great range of gaits. Admittedly absent : the parading on the catwalk, the changing of the guards and the drunken sailors’ loops of stumbling. But, of course it is not a catalogue but a musically motivated route in ten pieces taken here by means of rich and colorful orchestrations in fully flourishing flow based on, triggered by well-structured molds and unfolding along a clearly lighted line where rhythm and melody intertwine. It shows dynamic alternation of high flying and crumbling down, moments of thrilling overturning and sudden hazing, playful combination of clocking exactness, crossfading flurrying parts and destabilizing escapes into equilibrium. It is Hawkins’ passionate game with the interlocking combinatorics of canons that generates evocative resonants beyond and above the lines played so vividly rushing by the musicians here.

As an outstanding characteristic of this work counts that it is a well thought-out distillate from the experiences a vast number of different live performances during the recent over-regulated irregular period. In this many-sided process for example piece 10 « Even the Birds Stop to Listen » is based on a commission by Nadin Deventer (Jazzfest Berlin) devised as « Sunnosphere » by Hawkins and Siska, Matthew Wright and Shabaka Hutchins, and ultimately realized live by Siska, Nick Dunston and Lina Allemano in Berlin. It also turns out that Hawkins is able to skillfully apply means when those are demanded, make sense and fit in as the subliminal electronics in the striking « Stamped Down, or Shovelled ». To answer the big question if and how Bach-architecture and lush Braxtonian labyrinthine sprouting can cross-fertilize through these musicians, you should immerse into the music - on your headphones or even better, hopefully live soon at a vibrant site.

« Stamped Down, or Shovelled » is something of rotating and partially overlapping discs, something between Steve Coleman and Henry Threadgill that offers a lot of space and possibilities for more musicians to join in productively. Three solos emerge from it, one of Shabaka’s sax, one by Hawkins’ piano having a harpsichord effect (induced by magnets on the strings) and one by Richard Olatunde Baker mainly on the talking drum that abruptly stops thereby marking the end of the piece. « Sun Rugged Billions » starts with a fine flute intro by Shabaka Hutchins joined by Hawkins’ tinkly prepared piano. The music gets disrupted more and more, gets stuck, almost crumbles or gets free again - irregularity as a state of being.

In « Generous Souls » piano is at the center and a great carrier for the rotating levels, in the alternation of appearing and disappearing, of converging and diverging instrumental subgroups. Crashing sax interventions of Hutchings appear, and twined in the moving whole there is a brilliant guitar solo of Otto Fischer. A great idea also to let the acoustic bass guitar of Neil Charles serve the tuba function. « Faint Making Stones » is a beautiful richly orchestrated, staggering piece that for me evokes memories of Oliver Nelson’s « Stolen Moments ». The title of Hawkins’ piece is derived from Robert Creeley’s poem The sound, admittedly my long time favorite poet :

Early mornings, in the light still
Faint making stones, herons, marsh
grass all but indistinguishable in the muck,
 
one looks the far side, of the sound, the sand
side with low growing brush and
reeds, to the long horizontal of land’s edge
 
where the sea is, on that
other side, that outside, place of
imagined real openness, restless eternal ocean

« Chaplin in Slow Motion » is a great imaginative piece that draws its impact from a contrast of both hands at the piano and the contrast of piano and the bass-percussion component that evokes a magical slow motion shuffle feel. That Charlie Chaplin walk, the waddling walk that talks, is a highest order artistic phenomenon full of musicality in itself. It is great to have the image here as transformed by Uruguayan writer Eduardo Galeano who applied it to ultimate soccer magician Garrincha : “He walked with his gaze lowered, Chaplin in slow motion, as if asking forgiveness for the goal that had all Florence on its feet.”

[Break a Vase is an album that you can start listening departing from various points and it will take you into new circling routes time and time again.

par Henning Bolte // Publié le 29 mai 2022
P.-S. :