Scènes

ZomerJazzFietsTour à coups de pédales

Le festival néerlandais se fait à vélo d’une scène à l’autre.


Le SummerJazzBikeTour vous emmène dans l’environnement rural de la ville de Groningue, dans le nord des Pays-Bas. Il faut trouver des itinéraires musicaux dans un vaste paysage plat et herbeux, avec de petits villages que l’on peut atteindre par de longs chemins sinueux. Le vent, le soleil, les nuages et la pluie ont libre cours dans cet espace largement ouvert. Vous avez besoin d’un outil de cartographie/navigation, d’un vélo (ou d’une planche à roulettes, de patins ou d’un cheval) et de la volonté de vous déplacer dans ce plat pays. Vos cibles sont de petites églises, des écuries, des hangars et des granges à musique situés dans des environnements insolites. Le concept a été adopté et modifié à plusieurs reprises, mais cette version originale est toujours la meilleure. À la fin d’une journée, après avoir évolué au gré des nuages et de la musique, il y a un lent fondu-enchaîné, un Ausklang où se retrouvent les musiciens participants, les bénévoles et les animaux domestiques. Cette année c’est à Oostum, un hameau sur un monticule avec moins de 25 habitants, une minuscule église, une ferme et trois chats.

JazzFietsTour © Henning Bolte

Sans vanité
Le SummerJazzBikeTour est l’un des rares festivals atypiques qui ne se laisse pas tenter par l’expansion et la croissance. Le festival n’a pas non plus à jouer le jeu de la green initiative. Que vous ne puissiez pas voir un grand nombre de concerts attrayants du festival n’est qu’une question physique. Le circuit est dépourvu des excès que connaissent les festivals actuels.
L’acceptation de ces restrictions est la base d’un plaisir authentique. La programmation constitue un mélange rare de nouveautés et d’avant-garde, de groupes curieux et même obscurs qui correspondent toujours aux sites et aux curiosités. Y être invité peut être considéré comme un honneur.

Des goûts des routes
Ce festival d’un jour, qui en est à sa 36e édition, propose vingt-et-une configurations musicales réparties sur quatre parcours plus un parcours « libre ». Chaque parcours contient quatre formations qui se produisent en deux sets. En pratique, vous pouvez assister à quatre concerts au cours d’un après-midi, en faisant du vélo entre les deux. La distance à parcourir à vélo sur un parcours est comprise entre 14 et 24 km. Les visiteurs doivent choisir l’un de ces parcours et disposent d’alternatives sur chaque parcours. La participation de musiciens français à ce festival est une longue tradition, maintenue intacte par le programmateur Marcel Roelofs, y compris dans l’édition de cette année, qui comprend cinq noms éminents : Élise Caron, Vincent Courtois, Benoît Delbecq, Edward Perraud et Louis Sclavis.

Prologue
Mais avant de parcourir ce plat pays, il y a le fameux prologue de la veille. Il m’a conduit au Simplon, non pas le col des Alpes, mais une salle de concert rock de la ville de Groningen, où deux stars françaises, Vincent Courtois et Louis Sclavis, suivies par le grand ensemble belge Flat Earth Society (FES), ont donné une ouverture jubilatoire, détonante, sinueuse, zigzagante et passionnante - une expérience à vivre en direct !
Courtois et Sclavis, c’était l’exubérance de la joie pure, du jeu intense et de la soif d’espressione fulminante. Tous deux ont fouillé dans les profondeurs de la mélodie, faisant apparaître dans nos âmes des étoiles scintillantes et des ombres dansantes.

Flat Earth Society © Henning Bolte

Le grand ensemble Flat Earth Society (FES) de Gand est une entité stupéfiante, ardente, étincelante, que seuls les Belges (pas les Français, les Néerlandais ou les Allemands) peuvent réaliser : un grand spectacle fort, übertotal umwerfend, amusant avec des perturbations semi-misterioso imprévisibles débouchant sur des règnes luxuriants et florissants. C’est un ensemble tortueux d’une brillance tonitruante. Avec son énergie anarchique, FES se distingue nettement du modèle conventionnel. Contrairement au mode d’interaction habituel des big bands, le FES construit et élabore l’interaction à partir de l’originalité et de la personnalité des musiciens et des petites sous-unités d’intervention. C’est à partir du ping-pong de ces sous-unités que l’ensemble de la troupe s’enflamme de temps à autre. Le batteur qui se trouve devant souligne également cette différence. C’est une approche qui permet des zig-zags, des renversements ou des volte-faces assez rapides. Le jeu est plus transversal, plus ascendant que descendant et ressemble plus au basket-ball qu’au football. FES évolue sur un fil tranchant avec des sapes dada, des railleries politiques et un humour belge imbattable.

En route
J’ai décidé de prendre la ROUTE ROUGE avec un détour à la fin par la ROUTE ORANGE aussi appelée ROUTE HAN BENNINK 80. Cette route m’a conduit à Garnwerd (église), Maarhuizen (grange), Winsum Kleikracht (cour de ferme), Oostum (église).

Louis Sclavis et Fie Schouten © Henning Bolte

Le premier arrêt à l’église de Garnwerd a été l’occasion de présenter la création d’une nouvelle combinaison franco-néerlandaise composée du violoncelliste Vincent Courtois, du clarinettiste (basse) Louis Sclavis, de la clarinettiste basse Fie Schouten et du pianiste/organiste Guus Janssen. Schouten est une figure marquante de la musique contemporaine sur son instrument, Janssen est un passeur de frontières entre la musique contemporaine en tant que compositeur et la musique improvisée. Il est le pianiste actuel du légendaire Instant Composers Pool (ICP), remplaçant le fondateur Misha Mengelberg (1935-2017).

Cette association a rapidement trouvé un terrain d’entente au sein de ses différences, éclairant de façon vivante les approches de chacun et entremêlant parfois de façon spectaculaire ses qualités et colorations particulières. Le côté français « rond » s’est associé au côté « hollandais » plus rusé et ludique, avec des traces complexes de Loevendie et de Messiaen. Cette collaboration est une extension du rapprochement florissant entre la musique contemporaine composée et improvisée que Fie Schouten a créé avec sa série de concerts Nieuwe Noten/New Notes. L’interaction des quatre musiciens a clairement démontré l’originalité et le riche potentiel que recèle encore ce terrain commun.

Il a été difficile de trouver la deuxième étape, Maarhuizen : il s’agissait simplement d’une vieille grange isolée (en cours de rénovation) à mi-chemin entre Winsum et Mensingeweer. Ici, l’Orquesta Del Tiempo Perdido du guitariste Jeroen Kimman attendait les cyclistes. Sous la charpente de la grange et son haut toit de chaume, c’était un décor aussi surréaliste que chaleureux, un espace à l’acoustique étonnante. Et le fait de se perdre est un élément normal de cette aventure (peut-être aussi à cause du manque de repères familiers pour les étrangers).

Orquesta Del Tiempo Perdido © Henning Bolte

Musicalement, on est passé de la forme libre et ouverte de la combinaison franco-hollandaise de Garnwerd à une musique moins ouverte mais non prévisible, de type tortueux, avec des humeurs diverses et des morceaux plus courts. Tout cela interprété par le septet Orquesta DTP, composé de Jeroen Kimman (g), Mark Morse (guitare lapsteel), Floris van Bergeijk (synthé), Michael Moore (as, cl), John Dikeman (ts, sax basse), Koen Nutters (b) et Tristan Renfrow (dr, glockenspiel). Son récent album Traantjes/Little Tears a été enregistré avec un ensemble de 21 musiciens.

L’Orquesta puise dans de nombreuses sources de styles populaires et exotiques du passé. Ces sources ressortent grâce à une dramaturgie sophistiquée faite de tensions, de densification et de légers déséquilibres. Les mélodies accrocheuses ne sont pas jouées directement, mais avec des distorsions légères, des non-simultanéités et des trébuchements discrets. Je ne savais pas qu’il existait un espace aussi merveilleux entre Frisell et Ribot. Il était également très révélateur, pendant ce concert, d’observer comment l’expression des visages dans le public changeait entre des regards déconcertés, des regards d’attente et des sourires satisfaits, reflétant à chaque fois le sens d’une voix hors des sentiers battus.

Michael Vatcher © Henning Bolte

Après Maarhuizen il fallait choisir entre l’écluse de bateau à Schaphalsterzijl (Object Sonore avec Luc Ex (samples) et Ada Rave (sax)) et la ferme Kleikracht près de Winsum où le saxophoniste allemand Jan Klare jouait avec ses 3000 combattants vétérans Wilbert de Joode (b), Michael Vatcher (dr, talk), Steve Swell (trombone) et Bart Maris (tr). Après un trajet plutôt sinueux, j’ai atterri à la ferme Kleikracht. C’était encore une fois un spectacle inhabituel de voir des musiciens jouer devant une étable et pratiquer leur propre type d’agriculture.

Ici, les sources et la dramaturgie étaient différentes et plus libres à nouveau. Les cinq musiciens disposent d’une telle richesse de moyens qu’il n’y a pas lieu de s’inquiéter. 3000 a commencé avec de l’abondance puis des pauses, mais très vite, de grandes dynamiques de vitalité ont pris le dessus avec de nombreux mouvements et un résultat surprenant : un don à la puissance de l’argile, au bétail et aux visiteurs des zones agricoles.

Puis je me suis écarté de l’itinéraire pour arriver à Oostum, ce hameau perché sur une butte et comptant moins de 25 habitants. La minuscule église a accueilli un concert intimiste en duo acoustique d’une simplicité et d’une beauté naturelle captivantes par deux expatriés américains œuvrant de longue date sur la scène néerlandaise : le multianchiste Michael Moore et le bassiste Paul Berner.