Chronique

Alexandra Grimal

Kanku

Alexandra Grimal (ts, voc, objets, comp), Sylvain Daniel (elb), Eric Echampard (dms)

Label / Distribution : ONJAZZ Records

On sait qu’Alexandra Grimal a toujours aimé composer avec les éléments. Le vent, indispensable et souvent chaud, la terre et l’eau. Le feu, comme dans Heliopolis… Quelque chose qui s’apparente au sacré animiste, avec ce qu’il faut de magie. Le plus récent exemple est sans nul doute Bambu, sorti il y a peu chez Ayler Records dans un brillant trio. Kanku, paru sur le label de l’ONJ, est différent, tout en s’inscrivant dans une sorte de continuité émotionnelle où les sens ont leur importance. Alexandra Grimal avait participé à Petite Moutarde, et l’on perçoit que de l’ensemble des petites formes travaillées pendant la mandature d’Olivier Benoit percole une sorte de dynamique collective, pleine de richesse et témoin d’une émulation. Pour ce nouveau trio, avec deux camarades de l’ONJ, le batteur Éric Échampard et le bassiste Sylvain Daniel, Alex Grimal explore des contrées qu’elle n’avait fait qu’aborder auparavant, et qui lui sont pourtant immédiatement familières.

Bien sûr, il y a dès le premier mouvement de la pièce des points de repère. Une agilité formidable au ténor qui lui permet de marier vitesse et puissance. Une douceur également, inhérente à son jeu. Elle se place dans sa voix blanche, étouffée et en rupture, qui psalmodie et cite la fiche Wikipedia de la Supernova. La saxophoniste est une poussière d’étoiles flottant dans le big-bang. Elle sait déambuler en l’air pour mieux scruter les tensions qu’entretiennent ses compagnons de la rythmique. Une basse dure, envahissante, tout anguleuse, qui vient envahir l’espace et rebondir jusqu’aux limites de la saturation, rappelant au passage, notamment dans un quatrième mouvement très explosif, que Daniel aime le métal et sait manifestement allumer les forges.

Quant à la batterie d’Échampard, coloriste à souhait, remarquable dans un second mouvement plein de tension où le silence tient son rôle, il se joue des peaux et du métal et s’infiltre même dans les pédales distordues de la basse. Le mouvement dans Kanku est une évidence. Il y a parfois des instants contemplatifs, comme au crépuscule du second mouvement, mais le trio palpite et propose des rythmiques impaires et souvent cascadeuses. Alexandra Grimal, de loin en loin, fait songer à Fabrizio Cassol ; à ceci près que les territoires (Kanku en japonais) envisagés et appropriés sont purement fantasmatiques, peuplés d’oiseaux sauvages qu’elle interpelle aux appeaux et propices aux courants contraires porteurs d’une certaine magie souvent troublante. Kanku est un disque céleste, et il n’est pas seulement question de supernova. Il a la tranquillité destructrice de l’infiniment grand qui se frotte à une électricité contondante. Tous les éléments sont réunis pour une belle atomisation des sens. On est heureux de se trouver au cœur de la détonation.