Chronique

Wolphonics

The Bridge

Fabrice Theuillon (bs, ts), Asha (voc), Denmark Vessey (voc), Guillaume Magne (g), Sylvain Daniel (elb), Antonin Leymarie (dm), Boris Boublil (synth, el org), Fanny Menegoz (fl), Antoine Berjeaut (tp), Julien Rousseau (tp), Judith Wekstein (tb)

Label / Distribution : Airfono

Apparu sur la scène de Banlieues bleues en 2017, le projet Wolphonics du saxophoniste Fabrice Theuillon est un ovni mi jazz, mi hip-hop. Ce musicien, aperçu autrefois dans les rangs de Rigolus de Thomas de Pourquery ou dans le Surnatural Orchestra, a monté ce projet au retour d’un séjour aux USA. Il s’est entouré d’un all-star de musiciens, presque tous leaders de groupes, et a convié deux MC américains à venir poser leur voix sur ses compositions. Il n’est pas le premier à confronter ces deux univers, mais sa démarche est remarquable tant le disque est réussi et réjouissant. Il possède un style et une élégance indéniable, et confronte un jazz chatoyant à un hip-hop libertaire et engagé. Le disque s’écoute comme on regarde un film. L’impression de déambuler dans une ville, New York par exemple, y est très prégnante. Ce disque pourrait très bien s’inscrire dans la série initiée en son temps par le label Ropeadope où la musique d’une ville était revisitée par des jazzmen. Le Bronx justement, berceau du hip-hop, n’y avait pas eu droit.

Les climats changent très souvent d’un morceau à l’autre grâce à des choix orchestraux forts : nappes de cordes, sons électroniques du 20ème siècle ou répétition d’accords de piano des disques de rap. Dans l’ensemble, les arrangements sont subtils, plutôt soyeux, presque somptueux. Ils peuvent sonner comme ceux du Sacre du Tympan lorsque les cuivres sont mis en avant, ou bien évoquer le Pink Floyd d’Atom Heart Mother quand vient se rajouter l’orgue électrique de Boris Boublil. La guitare de Guillaume Magne contribue notamment à instaurer ces changements de climats. Il lui suffit de peu de notes pour passer d’une ambiance à l’autre : psychédélisme, musique soul, trip-hop. Néanmoins, la batterie d’Antonin Leymarie, à la frappe sèche et au jeu serré, ainsi que la présence continue des deux MC confèrent à l’ensemble une forte cohérence et cette évidente touche hip-hop.

Alternant sur les morceaux, les voix des deux rappeurs ont chacune leur couleur, leur prosodie. La voix de Denmark Vessey use et abuse d’overdubs, permettant de superposer des lignes de voix ou de créer des chœurs. Celle d’Asha peut s’emballer, voir son débit accélérer, ou bien montrer subitement des inflexions de prosodie. Leurs voix sont douces, chaleureuses, un brin en colère pour celle d’Asha. Quant au leader du groupe, il se montre discret. Son baryton intervient comme un coup de tonnerre au loin, signifiant que l’orage se rapproche. Il assure la fondation de l’édifice musical, venant ponctuer les phrases de sa sonorité dense et rassurante. Ce disque au propos résolument hip hop laisse avec une place minime à l’improvisation et au solo. C’est pourquoi il faut jeter un œil aux vidéos en ligne où Fabrice Theuillon finit en nage en se donnant à fond dans sa prestation.