Chronique

Anthony Braxton

Solo (Bern) 1984

Anthony Braxton (as)

Label / Distribution : Ezz-Thetics

Même si l’on peine parfois à comprendre comment fonctionne Ezz-Thetics, la nouvelle collection de Werner X. Uehlinger sur les brisures de HatHut mais sans orange dominant, entre mise à jour d’archives affolantes (First Visit), de bonus mythiques (Revisited) et de nouveautés, toutes en version numérique et sans publicité, constatons que certaines propositions du label sont promptes à exciter les sens des exégètes et des collectionneurs. Ainsi, il y a quelques semaines est apparu Solo (Bern) 1984 d’Anthony Braxton qui, l’air de rien, constitue un morceau d’Histoire.

Passons sur l’importance des soli dans le développement des langages de Braxton : on a déjà écrit ici que le solo était chez Braxton un exercice sanctuarisé qui lui permettait de s’approprier et d’annoncer de nouvelles formes. Les années 80 ont justement été riches en solos : on pense à Pise en 1982 ou à l’étonnante composition 113 qui font suite à deux années 78 et 79 cruciales (soli à Köln et à Milan). Car 1984 se situe au milieu des premiers enregistrements de la « Composition 105 A » qui est le coup d’envoi de son premier vrai langage défini, les Pulse Track Structures (PTS), ces capsules répétitives de quelques notes qui seront le ferment de son « Classic Quartet » avec Marilyn Crispell, Gerry Hemingway et Mark Dresser qui succède vite à John Lindberg. C’est en 1983 qu’on en trouve la première trace (Four Compositions (quartet) 1983). Elle durera 10 ans.

En 1985, Braxton stabilise sa situation en devenant enseignant à la Wesleyan. À plus d’un titre, les différents avatars de la « Composition 77 » enregistrés ici (77G notamment) portent en eux les germes des PTS [1]. La « Composition 26B », quant à elle, est un modèle de lutte qui pousse virulemment vers son point de rupture ; c’est là aussi un morceau crucial dans l’expression soliste, présent dès 1972 dans son répertoire. On assiste ici à un concert entier, en plein été 1984 [2], d’une qualité remarquable. Dans ce Solo (Bern) 1984, on découvre aussi, outre une remarquable relecture de « Giant Steps », une interprétation de « Naïma » plus rare et particulièrement brillante. Voici une véritable pièce manquante dans le grand puzzle que forme l’œuvre pourtant pléthorique du maître.

par Franpi Barriaux // Publié le 9 juin 2024
P.-S. :

[1La « composition 77 » n’est jouée qu’en solo. Elle apparaît dès 1974 et est présente dans le Alto Saxophone Improvisation 1979, enregistré pour Arista.

[2Le lendemain, Braxton enregistrera un fameux duo avec Gunter Sommer.