Chronique

Arat Kilo

Visions of Selam

Michaël Havard (bs, as, fl), Aristide Gonçalves (tp, org), Fabien Girard (g), Samuel Hirsch (b), Florent Berteau (dm), Gérald Bonnegrace (perc), Mamani Keita (voc), Mike Ladd (voc)

Label / Distribution : Accords Croisés

Voulez-vous remuer votre « tafanari » (c’est ainsi que l’on nomme le postérieur humain à Marseille) plus qu’intensément ? Cet album est fait pour vous. L’un des groupes les plus pertinents d’éthio-Jazz de l’Hexagone a concocté un cocktail de grooves africains si tellurique qu’il pourrait faire danser plus d’un paraplégique.

S’autorisant la rencontre entre les sons issus du « swinging Addis », connus des oreilles européennes grâce à la série « Ethiopiques », et sons de l’Afrique de l’Ouest, Arat Kilo développe un discours musical inédit plus que dansant. Entre riffs et gammes issus d’un univers musical lui-même fondé sur la rencontre entre Asie et Afrique de l’Est à Addis-Abeba, et guitare et rythmes lorgnant vers l’univers mandingue, le groupe s’empare de nos esprits et de nos corps dans un feu d’artifice de couleurs issues de l’Est et de l’Ouest du Continent Noir.

Un afro-beat transcendant Orient et Occident, mais également Nord et Sud. De fait, en conviant pour les voix la malicieuse Mamani Keita, qui s’exprime ici en wolof, et le rappeur slammeur Mike Ladd, Arat Kilo se donne les moyens de l’universalité, au point que chaque titre prend des airs d’hymne. Entre la chanteuse malienne qui s’était parfois perdue dans les « musiques du monde » mais trouve ici l’occasion de dérouler des accents poignants, et l’Américain exilé à Paris, le registre vocal de « Visions of Selam » (« selam » signifiant « paix » en amharique) assène un message aux accents plus que mobilisateurs. La voix aigrelette de la chanteuse associée au rauque du preaching de Ladd provoque des étincelles, notamment sur ce « Chaos Embeddeb », manifeste dénonçant une Afrique livrée aux appétits carnassiers des occidentaux et, de fait, à la corruption. Heureusement le dub « Naqfot », avec sa flûte ensorcelante, permet de se reposer un chouïa dans ces danses effrénées.

Enregistré sur bande afin d’éviter la froideur du numérique, cet album a quelque chose d’un punk-world tel que The Clash avait pu l’envisager à l’époque de « Sandinista », ou encore les anarcho-punks de The Ex avec le légendaire saxophoniste éthiopien Getatchew Mekurya. Avec une excellence musicale qui ne se dément jamais cependant : une flûte traversière combinée à la basse donne des frissons, une envolée de saxophone soprano incite à l’onirisme, le moelleux d’un saxophone baryton fait vibrer l’épine dorsale quand la section de cuivres ne se départit jamais d’une exigence orchestrale. Sans parler de rythmes improbables, à la limite de l’expérimentation, rehaussés par un son de clavier ensorcelant, conviant les mannes d’un Mulatu Astatké qui sut, lors d’un séjour new-yorkais, convaincre Coltrane de la pertinence de l’univers musical éthiopien.