Chronique

Hubert Dupont

VoxXL

Hubert Dupont (b), Ibrahima Diassé (perc, voc), Mike Ladd (voc), Hervé Samb (g), Naïssam Jalal (fl), Diego Hartlap (elec, fx), Maxime Zampieri (dms)

Label / Distribution : Ultrack

Hubert Dupont est de la famille des mangeurs de frontières. Le contrebassiste de Kartet proposait il y a peu avec Jasmin de visiter musicalement les pays mus par le Printemps Arabe en compagnie de la flûtiste Naïssim Jalal. Au sein du Trio Sawadu il sonde depuis plusieurs années, avec le guitariste Hervé Samb, le groove profond de l’Afrique de l’Ouest, sans se soucier de faire tamponner son passeport. VoxXL est une sorte de synthèse universaliste qui plante un pied à chaque extrémité du Sahara ; c’est une position enviable pour qui souhaite avoir une vision périphérique sur le monde, avec comme seul sauf-conduit la parole et son corollaire : la voix. Ou plutôt les voix, et pas n’importe lesquelles. Pour cette aventure, Dupont à convié le Sénégalais Ibrahima Diassé, joueur de tama, tambour d’aisselle et volubile émissaire du tassou, tradition sénégalaise où l’éloquence est la matrice du rythme. A ses côtés, Mike Ladd vient poser son impeccable scansion.

On pourrait y voir en surplus une confrontation entre l’Afrique et l’Amérique, entre deux spoken word aux origines diverses. Il n’en est rien. Inexorablement, Ladd installe sa forte personnalité, sa verve ironique et sa grande connaissance de l’histoire et de la culture afro-américaines dans la musique créative hexagonale. Depuis le Wasteland d’Antoine Berjeaut, on peut même dire qu’il est enfin reconnu à sa juste valeur par ses collègues francophones ; ceux-ci voient désormais en lui un musicien capable de distiller une atmosphère idéale en quelques syllabes (voir « Baisse la clim », sur lequel ses phrases grondent sur une batterie très électronique).

Ce qui prévaut ici, c’est la complémentarité et l’émulation, portées par une rythmique à la solidité éprouvée. A la basse électrique de Dupont s’ajoute en effet la polyrythmie étourdissante de Maxime Zampieri, qui sait souligner chaque inflexion de voix par des ralentissements subtils ou des accélérations soudaines, une habitude prise aux côtés de Magic Malik. Ainsi sur « Wonder », le batteur semble littéralement tanguer sur le même tempo que les paroles. Il souligne tour à tour les avalanches rythmiques de Diassé et le flegme de Ladd pendant que la guitare de Samb et la flûte de Jalal, entendue par ailleurs dans l’orchestre de Yoram Rosilio, pousse la rythmique et les mots dans leurs retranchements.

Enregistré en live à Musiques au Comptoir (Fontenay), VoxXL s’inscrit dans une démarche où se sont déjà illustrées des formations telles qu’Aka Moon ou Steve Coleman avec ses Metrics. La voix y est un formidable catalyseur d’énergie, et la musique africaine suggérée par Samb sur « Multi Kutsi » n’est en rien un prétexte ou une épice qu’on ajouterait pour relever un plat. Au contraire, elle s’intègre à une recette joyeusement cosmopolite qui trouve son exutoire dans le final, « Juska Juska. » En quelques mots Dupont propose à ses chanteurs un thème sur lequel improviser ; il est question de pain, de haricots et de poulet, et chacun s’enflamme. Les rythmiques gloutonnes semblent venir de toutes parts piller le buffet et électriser une réjouissante prestation. Vu la consistance du banquet, c’est l’auditeur qui est rassasié.