Scènes

Arild Andersen jubile à Victoria

Le groupe d’Arild Andersen terminait une tournée jubilé à Victoria, scène nationale d’Oslo.


Arild Andersen © Stein Hodnebo

Le contrebassiste fête en octobre 2025 ses 80 ans. Outre une carrière d’une longévité et d’une qualité incomparables, c’est l’occasion pour Arild Andersen Group de célébrer plusieurs anniversaires, un vrai jubilé, car l’idée de cette tournée de douze dates à travers la Norvège (pour laquelle tous les concerts ou presque ont affiché complet) a été lancée par le batteur du groupe, qui vient d’avoir 50 ans. Sur scène, le pianiste Helge Lien fête lui aussi son demi-siècle et passe la balle à Marius Neset, longtemps surnommé jeune prodige, mais qui célèbre mine de rien ses 40 ans tout ronds. Une soirée privilégiée, car extrêmement joyeuse, au cours de laquelle le principal intéressé a confirmé son statut de légende bien vivante.

Pour bien rendre compte de l’expérience, il nous faut dire en préambule que le quartet joue très fort. À ceux qui souhaitaient un samedi relax, Arild Andersen, 80 ans le 27 octobre, semble dire : « Vous vous êtes trompés de salle et de jour ! ». On doit cette énergie et cette intensité en premier lieu a Håkon Mjåset Johansen, batteur entendu aux côtés d’Håvard Wiik mais aussi tout récemment au sein du Supersonic Orchestra de Gard Nilssen, ici même, en ouverture de saison quelques semaines plus tôt.

Arild Andersen Group - Håkon Mjåset Johansen © Stein Hodnebo

Responsabilité du batteur ou relâchement d’une fin de tournée réussie puisqu’accueillie par un torrent d’amour de la part du public, le batteur est rayonnant et déchaîné. Sa frappe est déterminée à aller chercher chaque auditeur au fond de son siège pour lui faire prendre part à la musique ; l’écoute devient active, la fête est partagée. Des spectatrices au premier rang exultent, riant et levant les mains. Andersen lui-même est visiblement ravi d’être boosté de si près par ce bouillonnement d’idées percussives. Mjåset Johansen secoue par exemple le cocktail au parfum jazz-fusion de titres enregistrés à la fin des années 1990, à l’origine par Paolo Vinaccia, tel ce « Infinite Distance » en ouverture de concert, avec un son direct, tendu, et des cymbales en rafales.

Mais le contrebassiste reste le capitaine du navire. C’est lui qui sculpte les morceaux à son image et à son rythme, avec sa marque de fabrique, ce jeu ample et souple qui, malgré le haut niveau du jeu collectif, parvient à englober tous les autres sons. Bien entouré, il donne des couleurs nouvelles à son dernier album, Landloper, un solo enregistré en période de Covid sur cette même scène de Victoria. Marius Neset, en très grande forme, dégaine de brûlants solos et prouve une fois de plus une technique et une longueur de souffle impressionnantes au ténor comme au soprano. Le cadet du groupe sait aussi ne pas prendre toute la lumière et se mettre en retrait, renvoyant la mélodie à son illustre aîné qui l’a constamment soutenu depuis sept ans que ce « super groupe » a vu le jour.

Arild Andersen Goup © Stein Hodnebo

Sacrifiant parfois la justesse à l’intensité d’arpèges joués avec une vélocité impressionnante – il accroche de grands sourires à ma voisine et au premier rang de fans toujours actifs – Andersen apporte son groove chaleureux, si reconnaissable, à chaque titre. L’heure et quart syndicale de concert passe trop vite.

En guise de rappel, deux morceaux donnent l’occasion de jeter un regard dans le rétroviseur. Le très bel hymne « The Day » fait briller le pianiste Helge Lien. On ne peut qu’être profondément ému·es par cette longue introduction aux mélodies pleines du poids de l’histoire. Et « Nesten Senere », titre de Masqualero, sans doute le plus grand quintet de « stars » du jazz norvégien, fait voler les pensées vers le regretté complice d’Andersen, le batteur Jon Christensen.

Lorsque l’on prend conscience de sa carrière de presque 60 ans, ses collaborations plus que fructueuses, il est extrêmement émouvant d’assister à de tels moments où la joie d’une vibration collective surpasse et supplante la tentation de la mélancolie facile. Point de cela ici. C’est encore avec le regard gourmand et rieur que Mister Joy descend de scène et, avant toute chose, traverse la salle pour aller embrasser son épouse, la toute aussi riante Hege Schøyen. La galanterie n’est jamais un luxe, elle est ici cerise sur le gâteau. Bon anniversaire Arild.