Chronique

Braida / Bolognesi / Calcagnile

Cats in The Kitchen

Alberto Braida (p), Silvia Bolognesi (b), Cristiano Calcagnile (dms)

Label / Distribution : We Insist !

Prenez trois des musiciens les plus fins et les plus intéressants de la péninsule italique, et vous ne serez pas au bout de vos surprises. On pouvait légitiment imaginer qu’un trio réunissant la contrebassiste Silvia Bolognesi, qu’on a entendue avec Tomeka Reid et qui a récemment fait le bonheur du Dinamitri Super Combo, avec le batteur Cristiano Calcagnile, spécialiste de Don Cherry et compagnon de longue date de Nino Locatelli, se placerait sous les auspices d’un free rugueux et nerveux. Ce serait oublier que c’est le pianiste Alberto Braida qui les a invités, à l’orée de l’été 21, à faire les cats dans un studio de Toscane pour le label We Insist !. Braida est connu pour être un architecte musical consciencieux, frère d’armes de Nino Locatelli et grand admirateur de Waldron ou de Monk ; l’histoire du disque raconte d’ailleurs que Monk est le nom de ce chat qu’on voit sur la pochette, dans une cuisine épurée. A l’écoute de « Dedalus », tout en accords complexes sur une rythmique solide, on pense immédiatement qu’il a dû également passer du temps près du piano.

La forme du trio est celle que préfère Braida. Certes, son duo avec Locatelli laissait entendre un vrai goût pour l’intime, mais il y a dans ce présent orchestre une telle circulation, une telle complicité que tout est d’une grande souplesse. La métaphore du chat n’est d’ailleurs pas à mettre de côté : la base rythmique tout comme le pianiste jouent, avec un calme déterminé, avec la moindre pelote de laine qui passe ; sur « Marcia », c’est une citation avortée du « Yesterday » de McCartney avant de laisser Calcagnile pousser la main gauche de Braida dans ses retranchements. Toutes les compositions sont du pianiste, dans une esthétique qui revendique un classicisme serein, une joie de jouer ensemble. C’est tout le sujet de « Hiking », le morceau qui ouvre l’album. La ballade est lumineuse, le phrasé du piano tout en nonchalance, bien soutenu par la contrebasse de Bolognesi. Ce n’est pas « April in Paris », c’est juin en Toscane, et ça tient avant tout à l’équilibre entre les pointes du trio : la contrebassiste, de son pizzicato très fluide, fabrique une très belle trame avec le jeu économe de Calcagnile. L’atmosphère chaleureuse est contagieuse.

Personne dans l’orchestre ne tire la couverture à lui. Dans « Proust », c’est Alberto Calcagnile qui constitue le centre de gravité d’un trio devenu plus soudain plus sombre et évanescent. Les Cats in The Kitchen s’accrochent à cette ligne de cymbales qui semble faire le tour de l’album comme des griffes dans l’étoffe. Et puis Braida trouve une mélodie simple et cristalline qui apporte un éclat bienvenu : chacune de ses interventions est lumineuse et apporte davantage de liant à trois improvisateurs qui s’amusent incontestablement. Même sur « Cane e Gato », chien et chat, le morceau le plus monkien de l’album [1], la joute est amicale et souriante. Un disque qui fait du bien mais parvient à ne jamais ronronner.

par Franpi Barriaux // Publié le 20 février 2022
P.-S. :

[1Thelonious, pas le chat de Braida, NDLR.