Sur la platine

Other Matter, tendre déchirure


Longtemps, Julien Palomo nous a ravis avec la musique des autres. Le chevelu patron d’Improvising Beings, qui manque à nos platines assoiffées, a rangé son label - parmi les plus radicaux et les plus aventureux - au rayon des marqueurs d’époque. Et s’en est retourné à ses câbles, ses boutons et ses potentiomètres.

Car en bon disciple d’Alan Silva, dont il a contribué à perpétuer la musique au même titre que celle de Sonny Simmons, Julien Palomo est aussi un artiste des synthétiseurs vintage, ce qu’il a montré avec parcimonie sur son label, en particulier avec Michel Kristof, un guitariste sec et puissant. On retrouve ce duo justement nommé Other Matter dans les itinéraires bis de Bandcamp, en compagnie du grand batteur nippon Makoto Sato. Une rencontre parmi d’autres pour le duo qui depuis plus de sept ans hante le site de vente directe de musique, seul ou avec des proches comme le bassiste Mike Graziano ; mais un moment fort, marqué par une amitié de longue date avec un musicien lui-même assez présent sur ces rives internautiques. On citera notamment les 11 haïku qu’il a enregistré avec Richard Comte pour le label nunc.

Sato reste l’un des musiciens les plus fidèles à Palomo. On se souvient d’un quartet avec Itaru Oki, Kent Carter et Sylvain Guérineau, d’Une Rive à l’Autre, qui s’inscrivait dans une certaine tradition du Free Jazz. Sa rencontre à Aulnay-sous-Bois en juin dernier avec le duo Other Matter aborde cette musique par une face plus bruitiste, mais en gardant toujours cette souplesse du geste et une limpidité des choix. Ainsi, dans les dernières minutes du premier des trois morceaux qui constituent cette captation live, on a le sentiment que le batteur badine sur ses cymbales pendant que le chaos tonne au loin ; derrière, la guitare de Kristof s’embrase et court comme une mèche rapide pendant que l’électronique de Palomo aspergerait le tout d’essence. Le propos est à la fois puissant et dégingandé, comme une poupée désarticulée.

Dans leur musique souvent astringente (on conseillera The Tale of the Angry Astronauts and The Alien Substance parmi les plus agressives), le duo Other Matter sait offrir beaucoup de place à ses invités, et c’est dans le second morceau de ce concert que l’on peut l’apprécier pleinement. Guitare et claviers se réduisent à des gerbes sporadiques pendant que la batterie offre toutes sortes de variations, avec un rare sens de la nuance. Parfois, l’électricité la rattrape, la double, l’habille d’un larsen bienvenu... Mais toujours en laissant l’initiative au rythmicien. Une musique dégagée de toutes ses obligations, sauf la principale : celle d’agir en liberté.