Chronique

Christoph Erb

Erb Alone

Christoph Erb (ts, bcl)

Label / Distribution : Veto Records

De Chicago, où il est parti courant 2011, le saxophoniste suisse Christoph Erb est revenu avec plusieurs enregistrements destinés à la nouvelle collection Exchange de son label Veto Records. Après une première rencontre en trio avec Michael Zerang et Jim Baker, on le retrouve dans l’exercice complexe du solo, uniquement lesté de ses deux instruments de prédilection, le saxophone ténor et la clarinette basse.

Dans un format très court - moins de 26 minutes - et dix miniatures comme autant de chemins, Erb Alone est un exposé très cru de l’esthétique du musicien et de ses racines. Joe McPhee, bien sûr, dont la filiation apparaît en filigrane à mesure que les morceaux s’enchaînent, mais aussi les solo du Braxton des débuts, pour l’énergie d’un morceau comme « Bschme ». Entre noirceur fébrile et fracas soudain, la technique très étendue tisse des univers dont l’entropie se nourrit des samples et des enchevêtrements des instruments, lorsqu’il ne joue pas avec le contenu d’un verre d’eau (« Soup »).

Sous une jolie pochette en carton conçue comme une petite enveloppe, les slaps démultipliés de « Kirch » ou les lents crissements de « Kasimir » structurent une musique qui va sonder les profondeurs de l’abstraction. Avec son quartet Lila, Erb nous avait habitués à visiter une musique aux confins du métal et de l’électronique. Ici, dans le dépouillement du solo, le Suisse semble explorer de nouvelles abysses en synthétisant l’énergie de ses expériences passées et en les injectant dans l’exercice charnel du solo.

Il y a de la poésie dans la masse monochrome de « Horny Goats », lentement griffé par l’érosion de la clarinette basse, mais aussi dans l’opiniâtre ostinato de « Ténor » et ses reliefs inédits fait de claquements et d’imperceptibles modulations ; c’est dans ces interstices que Christoph Erb instille des trouvailles harmoniques et des rythmiques subtiles. Et soudain, au centre même de l’album, comme sorti de ce maelström de cliquetis et de souffles, « Gooey Louie » prend des allures lyriques. Joué au ténor seul, sans multipistes, ce morceau chaleureux révèle le cœur même de sa musique. Erb Alone est un disque complexe et brut qui met en lumière un excellent musicien dans un exercice ardu. Ils sont peu à s’en sortir avec autant de verve.