Chronique

Erb / Roebke / Adasiewicz

More Dreams Less Sleep

Christoph Erb (ts, ss), Jason Roebke (b), Jason Adasiewicz (vib)

Label / Distribution : Veto Records

Revoici l’axe Lucerne-Chicago et leurs échanges culturels de villes jumelées sur la base du jazz. C’est le treizième volet de la collection Exchange, et après une parenthèse exclusivement suisse, c’est encore Christoph Erb qui prend l’avion pour l’Illinois afin de regagner le studio en présence de musiciens familiers, les inséparables Jason de la scène chicagoanne, Roebke à la contrebasse et Adasiewicz au vibraphone. C’est l’autre nouveauté de More Dreams Less Sleep : le trio a déjà enregistré l’une des fameuses cartes postales de Veto Records, il y a deux ans, dans une configuration quasi-identique (Yuria’s Dream). Hormis Erb qui a abandonné sa clarinette basse pour le saxophone soprano en complément du ténor, on peut même dire que les cinq improvisations qui constituent cet album sont la suite directe, certes maturée, de la première rencontre.

Il faut avouer que les maillets d’Adasiewicz sont un formidable générateur onirique. Ils ne demandent qu’à transporter le trio dans un monde parallèle à grand renfort de sons cristallins. Ceux-ci enrobent le jeu incroyablement sec de la contrebasse et les slaps du saxophone, « V-v-d » en est l’illustration. L’orchestre s’installe de manière très égalitaire, sans s’assigner de rôles. Les deux Américains ont une vraie habitude de travail en commun. On pense notamment à Cinema Spiral avec l’octet du contrebassiste ou le Roll Down du vibraphoniste. C’est donc avec beaucoup d’instinct qu’ils pétrissent une matière très contrastée. Erb y évolue dans un registre où l’apparente quiétude ne masque pas un son acerbe (« Tense »).

Comparé à Yuria’s Dream qui développait sur le temps une atmosphère remplie d’étrangeté, More Dreams Less Sleep est plus nerveux. « Bizate » en est l’illustration ; les stridences du soprano se fondent dans les caresses du vibraphone comme pour engloutir la frappe de la contrebasse qui se débat. Derrière la douceur, on décèle une grande fébrilité, tels les soubresauts désespérés de qui lutte contre le sommeil, déjà entre deux états. On songe également au récent Rows and Rows signé par Adasiewicz avec Keefe Jackson, sans doute le musicien de Chicago le plus proche de Erb. On retrouve cet alliage de textures et de formes d’apparence antagoniste. Mais ici, le jeu volontairement abrupt de Roebke agit comme un équilibre précaire qui parfois laisse ses camarades s’aventurer dans des contrées hallucinées, à l’instar du justement nommé « Weird ». Le lâcher-prise est nécessaire pour profiter pleinement de ce disque, à écouter prioritairement aux franges de la nuit.