Entretien

Christophe Marguet

Rencontre avec Christophe Marguet, batteur militant qui manie depuis 25 ans musique et poésie en guise de contre-pouvoirs. Quand l’esthétique et la sensibilité sont à la fois des fins et des moyens.

Photo : Laurent Poiget

Sur la scène professionnelle depuis le milieu des années 1990, Christophe Marguet incarne un courant - si l’on peut dire - qui porte haut les couleurs de la poésie. Peu commun chez un batteur ? Encore que depuis Paul Motian... C’est donc sur la poésie et la sensualité, celles-là même qui nous semblent qualifier l’essence de son jeu, que nous l’avons sollicité.

- Quand on regarde votre discographie, on note une carrière étroitement liée à celle de Sébastien Texier. Vous êtes ensemble depuis le trio « Résistance poétique ». J’imagine volontiers qu’il ne s’agit pas d’une coïncidence.

Sébastien est présent depuis le premier album que j’ai signé de mon nom et sur six albums parmi les huit que j’ai dirigés. On peut parler de vraie fidélité entre nous. Nous nous connaissons parfaitement bien et nous avons, bien entendu, des affinités humaines et musicales. Nous nous retrouvons sur beaucoup de musiciens. Paul Motian, Don Cherry, Dewey Redman, Lee Konitz notamment. Entre nous, il y a des choses qu’on n’a pas besoin d’expliquer. Et puis il y a cet album, For Travellers Only, que Sébastien et moi venons de co-diriger. C’est une belle façon de continuer notre aventure musicale. Reste qu’à l’origine, c’est Noël Akchoté qui nous a mis en relation. Je le côtoyais dans des clubs de jazz et il m’a mis en lien avec Sébastien quand je commençais à écrire de la musique et que je cherchais un saxophoniste. Nous avons tout de suite travaillé en trio avec Olivier Sens. Et puis nous avons remporté les trois prix du concours de la Défense en 1995. Le prix du meilleur groupe pour notre trio, celui du meilleur instrumentiste pour Sébastien et celui de l’écriture pour moi. Ça nous a ouvert de nombreuses portes, dont Label Bleu et un certain nombre de festivals. J’ai envie de dire que les choses ont ensuite continué naturellement.

Christiophe Marguet (c) Laurent Poiget

- « Résistance poétique » se décline en trio et en quartet. A l’écoute de votre musique, on comprend aisément que vous mettiez en exergue la poésie. Mais comment envisager la résistance ? La musique que vous proposez ne semble pas se situer dans le registre militant.

C’est pourtant une forme de combat permanent. La poésie est présente mais il faut la défendre face au rouleau compresseur d’une société régie par l’argent et la soif du pouvoir. Il faut résister pour qu’elle perdure. Sinon se dessine un monde qui fait de nous des robots consommateurs. Or la musique est la seule arme dont je dispose.

- Quand je vous écoute, je n’ai pas spécialement envie de citer des batteurs. Sinon Paul Motian. J’imagine qu’il y en a une multitude d’autres dans votre univers instrumental. Mais j’ai autant envie de citer Carla Bley que Bill Evans.

Mon moteur premier, c’est la musique, avant la batterie même si je suis particulièrement intéressé par tout ce qui touche à cet instrument. Je sais que la batterie représente une puissance de feu incroyable et que je n’en aurai jamais fait le tour. Mais je m’intéresse plus à la manière dont les batteurs font de la musique. Paul Motian est l’exemple le plus évident car en plus d’être un batteur très « orchestral » il est aussi un formidable compositeur et leader. Son sens de la mise en scène est formidable. Mais il faudrait citer d’innombrables autres batteurs, à commencer par Elvin Jones, Billy Higgins ou encore Jack DeJohnette. Ils sont complètement connectés avec ce qui se passe dans l’orchestre. Sinon, bien sûr ce sont les musiciens créateurs qui m’ont fait et influencé, je pense à Miles Davis, John Coltrane, Charlie Mingus, Chalie Parker, Stan Getz, Bill Evans, Keith Jarrett, Dewey Redman, Charlie Haden...

Christiophe Marguet (c) Laurent Poiget

Opposeriez-vous la sensualité à un jeu plus physique ? La batterie se prête en effet facilement à des jeux très démonstratifs voire brutaux.

Je fais une différence entre un jeu démonstratif et un jeu physique. Pour moi, la démonstration relève du superficiel et ça ne m’intéresse pas. En revanche, un jeu physique c’est aussi un jeu engagé, puissant. J’aime la finesse mais j’aime aussi la puissance. J’ai besoin de fulgurances, de coups de tonnerre ou de coups de pieds dans la fourmilière autant que de finesse et de sensibilité. Jack DeJohnette, par exemple, peut se révéler d’une finesse extrême en même temps qu’il peut être un véritable ouragan.

- Si je dis qu’il y a une patte féminine dans votre jeu, vous vous y retrouvez ? Je ne sais pas trop ce qu’il y a derrière les termes « patte féminine », sûrement quelque chose qui relève du cliché, mais je dirais volontiers de votre jeu qu’il est à la fois introverti et volumineux.

L’association entre introverti et volumineux est presque contradictoire. Et pourtant ça me ressemble. Je suis quelqu’un d’introverti. Je me retrouve dans cette association. Fondamentalement, ce qui m’intéresse, c’est d’être puissant sans écraser, cet alliage impossible entre une certaine « sauvagerie » et la légèreté, l’élégance. Il est extrêmement difficile avec la batterie de réussir à avoir un jeu dense sans jouer trop fort, mais c’est là que réside la solution...

- Difficile de ne pas penser à l’écriture quand on parle de sensibilité.

J’écris de la musique au piano. Je ne suis pas pianiste, je ne peux pas faire un concert de piano mais j’ai un besoin constant de toucher cet instrument, de baigner dans une harmonie. J’ai un rapport instinctif à l’écriture. C’est toujours lié à une ambiance et surtout c’est une évasion, une nourriture indispensable à mon équilibre. Je ne vois jamais l’écriture comme une contrainte, au point que j’ai toujours une dizaine de morceaux d’avance. C’est un travail d’architecte que j’adore, sentir l’idée naître, la développer, la faire vivre et une fois le morceau terminé, l’entendre un jour interprété par ses amis musiciens est un plaisir indicible. En revanche, quand j’écris, je ne pense à personne en particulier. Je m’immerge dans le son que je souhaite voir réaliser et c’est ensuite que je réfléchis aux musiciens qui pourront l’incarner. Le choix des musiciens arrive, si je puis dire, une fois le travail terminé.