Tribune

Carnet de bord : Rhizottome au Japon - 2

Rhizottome en résidence à Kyoto


Photo © F. Barriaux

Après un premier chapitre consacré à l’arrivée à Kyoto, Armelle Dousset et Matthieu Metzger poursuivent leur périple aux côtés de musiciens japonais, en quête de l’atmosphère de leur album en devenir.

12 septembre

Premier échange musical avec Tokiko Ihara, joueuse de Shô habitant la région de Nara.

Il nous a rarement été donné de voir quelqu’un faire autant corps avec son instrument. Le Shô, version japonaise de l’orgue à bouche et utilisé dans le gagaku, doit être soufflé directement - pas d’embouchure. La symbiose opère, on ne sait si Tokiko souffle sa musique ou si l’instrument de bambou n’est pas en train de l’aspirer. Cet instrument demande une préparation très spécifique ; tous les quarts d’heure à peu près, elle se doit le faire chauffer au-dessus d’un petit radiateur. De temps en temps, pour le réajuster, elle en démonte un tuyau pour en gratter la base, faite de poussière de pierre et de résine de pin.

Les accords ramassés de cet orgue ravissent au plus haut point nos esgourdes, mais peut-être ne sentirons-nous jamais la finesse des renversements et des nuances dans leur réalisation, qui ont chacun des significations très précises.

Rhizottome & Tokiko Ihara © Matthieu Metzger

Bien plus palpable est l’épineuse question de l’accordage. Tokiko nous avait prévenus, elle possède un Shô qu’elle peut accorder à 440 Hz pour se rapprocher de nous. Mais celui en 430 Hz, respectueux de la tradition, est celui qui sonne vraiment.

Il y avait un sujet à la mode chez nous il y a peu, sur l’accord à 432 Hz qui serait l’accord parfait. Intéressant jusqu’au moment où l’on comprend que dans une envie de tout englober, ses défenseurs nous montrent surtout qu’ils sont assez mauvais en division, et arrondissent à tout va pour faire rentrer dans les cases un phénomène censé être universel... Pour faire simple, plus le chiffre est haut, plus l’instrument sonne brillant ou agressif, c’est selon. Plus il est bas, plus il sonne « chaud » - nous éviterons d’ailleurs tout jeu de mot !

En tout cas, nous sommes confrontés aux mêmes problèmes de diapason que dans le travail avec les instruments anciens européens - réminiscence de l’histoire du diapason à travers les époques - et plusieurs options s’offrent à nous. Traficotages électroniques de nos instruments pour jouer « juste », ensemble ? Solution de facilité, comme de vulgaires et maladroits Occidentaux ? La magie de l’instrument réside dans sa diffusion acoustique, alors peut-être ne pouvons-nous pas arriver tout de suite avec nos gros sabots du Poitou sur son terrain de jeu.

Mais assez parlé, improvisons. Car Tokiko sait s’adapter, connaît ce mélange, pour jouer plus souvent avec l’instrumentarium moderne que nous avec le sien. Parfois, cela sonne faux. Mais souvent c’est beau et inouï, lorsque tout le monde trouve sa place dans le spectre. Parfois, elle se met à chanter. Loin des bourrées à trois temps et des « chapeloises » - l’idée de la danse est plus lente. Nous ne nous en sentons pas moins chez nous.