Chronique

Disorder at The Border plus Ewald Oberleitner

Live at Achteckstadl

Daniele D’Agaro (ts, cl), Giovanni Maier (b), Zlatko Kaučič (dms, perc), Ewald Oberleitner (b)

Label / Distribution : Klopotec

En 2017, le multianchiste Daniele D’Agaro, musicien italien installé depuis des années dans la cosmopolite Amsterdam, proposait en trio une lecture de la musique d’Ornette Coleman. D’Agaro est ici un musicien particulièrement apprécié : saignant, véloce, avec un jeu acerbe qui colle bien à la musique qu’il défend, on se souvient notamment de lui dans Chicago Overtones avec Kent Kessler et Jeb Bishop. Intitulé ainsi en référence à un titre de Coleman Hawkins, Disorder at The Border regroupe trois piliers de la scène européenne, d’abord le contrebassiste Giovanni Maier, ancien de l’Instabile Orchestra et entendu il y a peu chez Ottaviano ou chez Schiaffini, et puis le percussionniste slovène Zlatko Kaučič, dont il faudrait louer ici chacune des prestations, tant il est inventif. Dans ce nouveau disque de Disorder at The Border, dans le long « Meeting at Achteckstadl » qui ouvre l’album, on l’entend ainsi frotter des pierres dans un délice minéral sur un tapis de contrebasse, en pizzicati et à l’archet.

Car c’est la nouveauté de ce trio : dans ce live en Autriche, il est augmenté d’un deuxième contrebassiste local, et non des moindres. Vétéran de la scène jazz d’Europe Centrale, Ewald Oberleitner a joué avec Braxton, qui le tient en haute estime, et il a animé il y a cinquante ans le groupe Neighbours avec le pianiste Dieter Glawischnig et le batteur John Preininger [1]. En ajoutant ce musicien, par ailleurs clarinettiste, l’orchestre trouve un autre équilibre. Dans « Without Borders », après quelques traits lancés comme pour cadrer le travail collectif, D’Agaro laisse la place aux contrebasses, le pizzicato profond de Oberleitner très en avant et l’archet toujours fluide de Maier qui construisent un propos très dense, dans lequel Kaučič peut ponctuer ou faire tinter quelques objets. Lorsque D’Agaro revient en pointe, le ton est étonnamment serein, et si les frontières sont dépassées, voire totalement obsolètes, c’est parce qu’au free jazz se mêlent quelques influences contemporaines portées par le travail omniprésent des basses.

Ce changement n’empêche pas une certaine immédiateté. Dans le très bien nommé « Myocardium », les contrebasses savent faire parler l’urgence pour pousser Kaučič dans ses retranchements : cet environnement plus incertain après le travail de timbres de « Old Deinotherium » permet à Daniel D’Agaro de retrouver son goût pour l’urgence et pour le trio augmenté, une certaine force de frappe. C’est la deuxième fois en quelques mois que Disorder at The Border rencontre une grande personnalité du jazz européen, après le travail avec Tobias Delius. Le trio s’y régénère, mais il trouve aussi une force, un parler commun qui est le mantra de ce trio italo-slovène sans frontières et amoureux du désordre. Enregistré à Valsoldsberg en Autriche en 2019, pour les 800 ans de la cité médiévale, Live at Achteckstadl est un témoignage direct de la grande richesse de la scène européenne.

par Franpi Barriaux // Publié le 14 mai 2023
P.-S. :

Un extrait ici.

[1Braxton le considère comme l’un des plus grands contrebassistes européens, il a enregistré avec Neighbours un disque en 1980, NDLR