Chronique

Armaroli - Schiaffini 4tet

Monkish (round about Thelonious)

Sergio Armaroli (vib), Giancarlo Schiaffini (tb), Giovanni Maier (b), Urban Kušar (dms)

Label / Distribution : Dodicilune

L’amitié entre Sergio Armaroli et Giancarlo Schiaffini est l’une des plus fructueuses de la scène italienne. Voici de nombreuses années que le vibraphoniste, que nous avons entendu récemment avec Elliott Sharp, et le célèbre tromboniste de l’Instabile Orchestra, l’une des plus brillantes coulisses d’Europe, nous ravissent avec des projets autour des musiciens de la seconde moitié du XXe siècle, d’Alvin Curran à Luc Ferrari en passant par John Cage, ce qui ne les empêche pas de s’emparer du jazz contemporain, comme en témoigne Trigonos. Fidèles au label Dodicilune, Armaroli et Schiaffini ont, l’an passé, questionné la figure de Thelonious Monk dans un remarqué Deconstructing Monk in Africa, dans une démarche amoureuse et savante ; ils ne pouvaient sans doute pas en rester là, tant la figure de Monk est importante dans leur musique : Schiaffini avait déjà enregistré un About Monk en 1992 dans son Giancarlo Schiaffini Band, où l’on retrouvait notamment Gianluigi Trovesi.

Avec Monkish (round about Thelonious), c’est, croit-on, une forme plus classique que nous proposent les deux Transalpins. En quartet avec une paire rythmique fabuleuse composée de l’indéboulonnable contrebassiste Giovanni Maier, proche de Zlatko Kaučic (Disorder at The Border) et habitué des formations de Schiaffini, et du batteur slovène Urban Kušar, largement passé sous les radars jusqu’ici. Il suffira de laisser avidement courir « Misterioso » sur la platine pour être immédiatement convaincu par son groove impeccable et la capacité du contrebassiste de l’Instabile à le pousser dans ses retranchements à force de coups d’archet. Sur cette route dégagée, droite et rapide, Schiaffini et Armaroli peuvent en toute décontraction continuer un travail de déconstruction par d’autres chemins que ceux du duo. Le vibraphoniste se prend d’abord au jeu de la puissante rythmique, avant de laisser le tromboniste partir vers d’autres chemins. Il en va de même avec le doux « Evidence » qu’Armaroli transforme en une œuvre cubiste, où Maier et Schiaffini s’en donnent à cœur joie, retrouvant de vieilles complicités.

C’est un vrai discours amoureux sur Monk que nous propose Monkish, qui ne sombre jamais dans la révérence ou le sage travail du copiste : l’œuvre de Monk est malmenée, bousculée, ce qui la rend encore plus monkienne dans sa forme comme dans son esprit. Le malin « Raise Four », par exemple, en est une belle déclinaison, lorsque le vibraphone s’empare du thème pour le jeter dans les braises de la rythmique ; dans ce morceau, Giancarlo Schiaffini s’efface dans un premier temps avant de jouer les accélérateurs à grand renfort de coulisse. On prend beaucoup de plaisir à l’écoute de ce disque, à parité avec les musiciens, qui savourent les thèmes avec espièglerie. Il suffira de quelques pizzicati de la contrebasse et d’un efficace pas de deux de Schiaffini et Armaroli sur « Bemsha Swing » pour adopter sans réserve ce disque, fruit à la fois d’un travail opiniâtre et d’une efficacité sans détour.