Scènes

Saveurs Jazz à Segré - 3

6e édition du festival en Anjou.


Photo © Jean-François Picaut

La troisième journée de Saveurs Jazz Festival à Segré (Maine-et-Loire) s’est terminée par le tragique décès de John Taylor. Elle avait pourtant très bien commencé.

Didier Ithursarry, Kantuz : l’art de faire de son miel de toutes fleurs

Le Saveurs jazz festival avait aujourd’hui la primeur de Kantuz, le dernier album de Didier Ithursarry tout juste paru chez LagunArte productions et distribué par Autre distribution. La sortie se fera au Studio de l’Ermitage le mercredi 28 octobre prochain.

« Kantuz », le titre éponyme de l’album, est issu d’une partition sans doute plus que centenaire confiée jadis à l’accordéoniste, et qu’il a retrouvée fortuitement dans son grenier. Elle s’apparente selon lui à une musique de danse basque. On sent l’origine folklorique de cette pièce très vive mais Ithursarry l’emmène vite vers d’autres horizons. Ses rythmes complexes demandent beaucoup de virtuosité à Christophe Lavergne (batterie) qui les joue en percussions manuelles soutenues par sa grosse caisse, et au contrebassiste Fred Chiffoleau - deux musiciens qui jouent ici les remplaçants de luxe !

Didier Ithursarry quartette © Jean-François Picaut

Bien qu’on le sente un peu tendu, Didier Ithursarry déploie dans ce concert toute l’étendue de son art, que l’on sait grand, tout en laissant à ses compagnons l’espace nécessaire à leur expression. Jean-Charles Richard (saxophone soprano) s’illustre ainsi dans un magnifique solo dès la pièce liminaire, « La Porte ! », ou dans une introduction très délicate au méditatif « Sonne ». Le contrebassiste conclut le morceau par un dialogue magistral avec l’accordéon. Il ouvre magistralement « Habanera pour François Béranger », qui commence comme une ballade mélancolique. L’accordéon déploie alors de grandes qualités, très différentes de la virtuosité dont il a fait montre dans « L’Antichambre », valse composée en souvenir de sa formation dans les bals et en hommage aux maîtres du genre, - Jo Privat, Tony Murena et autres Gus Viseur… Cette habanera évolue vers des couleurs orientalisantes, sensibles dans le jeu de la batterie et du saxophone. La musique devient plus animée, plus violente peut-être, et aussi plus dissonante et d’une modernité assumée.

Didier Ithursarry © Jean-François Picaut

« Choro », une pièce joyeuse, voire festive et parfois exubérante, contraste vivement avec « Elle » dont l’introduction à l’accordéon se distingue par son ampleur et la richesse de la palette.

Ainsi, avec des rythmes différents, des inspirations multiples, Didier Ithursarry compose une œuvre chatoyante dont l’éclectisme n’est pas dispersion mais expression d’une riche personnalité.

Stéphane Kerecki quartet Nouvelle Vague

On aura eu le temps d’apprécier son talent sur la « Chanson de Maxence » (Michel Legrand, Les demoiselles de Rochefort) où avec Emile Parisien (saxophone soprano) il s’appropriait la partie chantée sur le disque Nouvelle Vague par Jeanne Added, ou dans un duo aussi délicat que somptueux avec Stéphane Kerecki sur « New York Herald Tribune » (Martial Solal, À bout de souffle)...

Mais au milieu du concert, John Taylor (piano), qui interprétait en duo avec le leader Stéphane Kerecki (contrebasse) « Ta voix, tes yeux », une composition de Paul Misraki pour le film Alphaville de Godard, s’effondre sur son clavier. Ironie du sort, Kerecki, Emile Parisien et Fabrice Moreau venaient d’interpréter en trio un extrait de la musique composée par Georges Delerue pour Ne tirez pas sur le pianiste… Victime d’un infarctus, John Taylor décédera le lendemain à l’hôpital. Nous ne pouvons qu’exprimer notre plus vive sympathie aux musiciens brutalement privés de celui qui était aussi leur ami.

Stéphane Kerecki © Jean-François Picaut

Auparavant, Emile Parisien avait brillé par son exubérante inventivité et son phrasé ciselé, d’une extrême délicatesse. Quant à Fabrice Moreau (batterie) son travail rythmique et musical, le plus souvent sur les cymbales et la caisse claire, a la finesse de la dentelle et la précision de l’orfèvrerie. Ah, ce jeu de baguettes qui se frappent, se frottent, seules ou en résonance avec une peau !

Eric Legnini et Kellylee Evans, What’d I Say : annulé

Naturellement, le concert suivant, consacré au remarquable projet « What’d I Say » d’Eric Legnini, avec ce soir la chanteuse Kellylee Evans, a bien sûr été annulé. Tous les deux avaient assisté au drame depuis les coulisses et, comme nous tous, artistes et auditeurs, ils sont très choqués…