Scènes

Jazz à l’Ouest à la croisée des courants musicaux

Echos de Jazz à l’Ouest 2017, 28e édition (Rennes Métropole)


Sandrine Bonnaire avec Érik Truffaz dans « L’Homme A »

Vingt-huit ans, déjà. Jazz à l’Ouest affiche la vitalité insolente de la force de l’âge. Cette année, le festival dont le cœur continue à battre à la MJC Bréquigny (Rennes) rayonne dans 22 salles de l’agglomération et n’offre pas moins de 50 propositions musicales sans compter les jeux, les rencontres, les contes, la photo, la peinture…

Mardi 7 novembre 2017
Marguerite Duras, L’Homme A. : au commencement étaient la musique et le verbe
Le Pont des arts (Cesson-Sévigné) propose dans le cadre de Jazz à l’Ouest ce que le programme appelle « récit musical » - lecture musicale théâtralisée aurait été plus juste.
Érik Truffaz (trompette, voix, électronique) a concocté L’Homme A. à partir de L’Homme assis dans le couloir et de L’Homme atlantique de Marguerite Duras. Les mots de l’auteur de L’Amant portés par Sandrine Bonnaire viennent se nicher dans l’écrin que le trompettiste tisse avec Marcello Giuliani (guitares, contrebasse, voix, électronique). Richard Brunel a mis en scène ce spectacle brillamment éclairé par Maël Fabre.

Sandrine Bonnaire avec Érik Truffaz par Jean-François Picaut

Cette célébration de l’écrit, ici de la parole, est fortement ritualisée dès le début qui voit s’avancer d’une coulisse à l’autre un Truffaz marchant très lentement en interprétant un air tout à fait pénétrant. Quand il disparaît, on découvre, passant de l’obscurité à la pénombre, un lit où reposent emmêlés les corps de Sandrine Bonnaire et de Marcello Giuliani. La cérémonie vient de commencer.
On y rend un culte au verbe, à la musique ou, par leur truchement, à l’amour impossible et à la chair plus précisément. La prose de Duras, son écriture parfois qualifiée de blanche, prennent ici corps, un corps sensuel, par la voix, le souffle de Sandrine Bonnaire. Truffaz et Giuliani posent sur ces mots ou dans leurs interstices leurs notes habitées, composées ou improvisées, en contrepoint, en écho ou seulement comme une autre parole.
Le trio nous entraîne dans un maelström de sensations, si loin que le temps en est aboli.

Vendredi 10 novembre 2017, au Château d’Apigné (35)
ZÄ 5tet : à suivre avec attention
Le ZÄ 5tet est une jeune formation rennaise composée de musiciens confirmés autour de la chanteuse Annaïg Ramel. La jeune femme possède une voix puissante avec de très beaux graves, des médiums confortables et un vrai sens du rythme. Il y a encore une marge de progression dans les aigus. Elle écrit elle-même ses textes en français sur des thèmes du quotidien. Écriture sensible et efficace pour des chansons qui vont de la complainte à la ballade amoureuse en passant par des rythmes dansants où l’on croit entendre des échos de Carmen Maria Vega. Elle est accompagnée par un quartette d’instrumentistes soudés où se distinguent le saxophone soprano de Modeste Ratsimandresy et les rythmes ciselés de Gürbüz Göksu.

Yillian Canizares : beaucoup de grâce et une superbe présence scénique
Une fois de plus, Karim Khan (le propriétaire du château) et Nicolas Radin (directeur artistique de Jazz à l’Ouest) auront su faire le bon choix.
Aussi gracile et gracieuse, aussi chevelue qu’Esperanza Spalding, elle joue aussi d’un instrument à cordes (le violon) : la chanteuse cubaine Yilian Cañizares, à la jeunesse insolente et au charme irrésistible, a su conquérir - que dis-je : ravir le public venu nombreux.

Yilian Cañizares au Château d’Apigné

Les thèmes qu’elle chante sont très variés, du tombeau en hommage à un artiste vénézuélien à une composition imprégnée de spiritualité yoruba en passant par le salut à la mémoire d’un ancêtre esclave où se fait sentir l’influence vocale de Myriam Makeba.
Une voix riche au timbre chaud, un sens du rythme exceptionnel (on n’est pas cubaine pour rien) et de vraies qualités au violon : que demander de mieux ? Yilian scatte, chante la ballade avec sensualité, parle français à merveille et nous a régalés d’un « Non, je ne regrette rien » aussi émouvant que personnel avec des arrangements originaux, y compris au violon. Un nom à retenir.

Samedi 11 novembre 2017 à la MJC Bréquigny : la grande nuit du swing.
Le Swing Society : une musique qui s’écoute aussi avec les pieds !
Voilà un groupe qui s’inscrit d’emblée dans la lignée de Duke Ellington et de ses épigones. Les musiciens réunis à l’initiative du batteur Patrick Jouannic depuis 2006, jouent des compositions bien troussées et bien balancées.
Le chanteur Kevin Doublé est surtout un guitariste de grand talent qui se sert aussi habilement de son harmonica. On ne s’étonne pas de voir Jordan Philippe signer quelques remarquables solos au saxophone ténor. Une nouvelle recrue dans le groupe qu’il n’a rejoint qu’en 2015, Valery Haumont (vibraphoniste) s’avère posséder une belle voix chaude de baryton. Il sait scatter et occupe la scène avec beaucoup de charisme.

Aurore Voilqué septet : un cocktail pétillant et riche en couleurs
Avec cette nouvelle formation, Aurore Voilqué s’adonne sans réserve au chant qu’elle maîtrise toujours mieux, sans négliger le violon où elle étincelle comme à l’accoutumée. Le répertoire ne dédaigne pas la reprise de quelques standards mais il brille surtout par des chansons françaises ou adaptées dans notre langue par Olivier Defays (fils de Pierre Richard) et François Biensan qui signent aussi de nouveaux arrangements. Le tout ne manque pas de sel !

Aurore Voilqué à Jazz à l’Ouest

A côté de « The Mooche » (Duke Ellington) où s’illustre Jerry Edwards (trombone), on entendra du Cole Porter. Julie Saury (batterie), toujours très présente, signe un magnifique accompagnement sur « Blue Grass », si souvent joué par Django Reinhardt et le Hot Club, occasion d’un superbe solo d’Aurore Voilqué, très mélancolique dans les graves et déchirant dans les aigus. On retrouve surtout avec plaisir « Blonde en or » d’Henri Salvador, « Monsieur William » (Caussimon et Ferré) où Thomas Savy (saxophone ténor) livre le grand solo qu’on attendait, « Du Rififi chez les hommes » chantée par Magali Noël dans le film du même nom, « Quand je monte chez toi » d’Henri Salvador… Aurore Voilqué interprète ce dernier titre ambigu avec beaucoup de malice. Elle prend à l’évidence un grand plaisir à reprendre, et nous à écouter, ces textes symboles d’une époque qui ne sont guère plus supportables qu’au second degré…
Avant de conclure ce concert, Aurore Voilqué et son violon s’offrent un petit tour de salle qui fait encore monter la température d’un cran. Cette soirée swing, où le public était invité à venir costumé, a tenu les objectifs festifs qui lui étaient fixés et mis un peu de soleil dans la grisaille d’automne.