Portrait

Eivind Aarset : we don’t need another (guitar) hero

Portrait du bienveillant guitariste norvégien.


Eivind Aarset © photo Christophe Charpenel

Eivind Aarset est un fer de lance d’une musique aux confins du jazz et de l’expérimentation électronique. Il est bon de le dire, vingt-cinq ans après la publication de son premier album Electronique Noire, à l’aube d’une série de concerts marquant les vingt-cinq ans de l’album Khmer de Nils Petter Molvær, avec qui il a contribué à transformer le son de la scène norvégienne, et à l’issue de la tournée promouvant son dernier album, Phantasmagoria.

Eivind Aarset © Michel Laborde

Du hard-rock de ses débuts, il n’a gardé que les cheveux longs. Bien sûr, il y a quarante ans tout juste que sortait le premier album de son premier groupe, Road, mais ce n’est pas tant pour cela qu’un portrait s’impose. Non, la musique d’Eivind Aarset se vit et se ressent hors actualité car son œuvre s’enrichit doucement, se renforce peu à peu au fil des années, des décennies désormais, hors des modes, en étant pourtant bien liée à l’air du temps. Aérienne et mouvante, électrique et sensible, plus vin naturel que Bordeaux millésimé, cette musique se bonifie en s’oxygénant auprès d’un auditoire qui, cela mérite d’être souligné, se renouvelle et accueille des auditeurs plus jeunes.

Hors temps mais jamais hors-sol, Aarset est un homme à haute fidélité. Ainsi, pour habiter précisément dans son village d’origine, je peux dire que ses racines sont visibles. Elles se lisent dans ses collaborations régulières avec Jan Bang (producteur et musicien, co-directeur artistique du Punkt Festival, référence des musiques contemporaines), sa constance envers Bugge Wesseltoft et son label Jazzland, sur lequel la plupart de ses albums ont été publiés, ou encore sa croissance en parallèle de celle de son exact contemporain Nils Petter Molvær, depuis vingt-cinq ans. Ces deux-là ont fait éclore l’électro-acoustique dans la scène jazz déjà très identifiée de Norvège et en sont devenus les fers de lance indiscutables au long des années 90, grâce à une productivité hors norme. Pour lui et pour les autres, Aarset est devenu un musicien de studio, de l’ombre donc, hyperactif. Pendant vingt ans, toute une génération a voulu avoir la « patte » Aarset sur son album. Toujours en recherche d’harmonies, le guitariste a aussi collaboré avec réussite avec une nouvelle génération internationale de musiciens tels que Dhafer Youssef, Tigran Hamasyan ou d’autres cultures rythmiques aux côtés du percussionniste Michele Rabbia et tout récemment Michiyo Yagi, virtuose du koto japonais.

Eivind Aarset Lumière © Christophe Charpenel

Sur scène, l’élégance d’Aarset est de dérouler le tapis rouge – ou noir, peu importe – à ceux avec qui il la partage et dont le bonheur de jouer, dialoguer, construire minute après minute une cathédrale sonore, irradie jusqu’à l’extase. Et si les plus beaux guitar heroes n’étaient pas ceux qui « sex » posent en capitaine, figure de proue phallique, fracassant les égos de leurs sidemen, mais ceux qui brillent par leur nuance, ceux qui parviennent à trouver la plage de calme dans la complexité des choses, sans, pour autant, jamais simplifier le propos ?

Voilà ce à quoi je pensais en ce samedi d’hiver où j’assistais, pour la deuxième fois en six mois, à un concert de la tournée de l’album Phantasmagoria, Or A Different Kind Of Journey , dans la salle comble de Victoria-Nasjonal Jazzscene à Oslo.
Alors qu’Erland Dahlen et Wetle Holte, deux batteurs placés l’un face à l’autre, surplombés par Audun Erlien à la basse électrique, forment sur scène un puissant trio rythmique, étrave perçant la nuit et la musique composée par leur ainé de guitariste, lui joue assis, souriant, tenant calmement le gouvernail et la direction musicale.

Guitare Eivind Aarset © Christophe Charpenel

Le monde a besoin de ces bienveillants, de ces hommes élégants, portant la politesse en étendard. Lauréat du Buddy Prisen en 2021, équivalent d’une Victoire d’honneur du Jazz en France, Eivind Aarset est aujourd’hui consacré comme l’un des plus grands guitaristes scandinaves, un maître de la lumière dont les recherches et l’identité sonores se sont répercutées sur d’innombrables musiciens au-delà du jazz (Stian Westerhus, David Sylvian, Kim Myhr). Il semble important de le rappeler ici cette année, vingt-cinq ans après la publication de son premier album solo au titre (étonnamment  !) français, Électronique noire.