Chronique

Eric Plandé & Barre Phillips

Breath of Time

Eric Plandé (ts, as, ss), Barre Phillips (b)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

La tendresse et l’élégance de l’échange : voilà ce qui frappe en premier lieu. Quelques mois après Touching, disque d’Eric Plandé en compagnie d’Uwe Oberg et de Peter Perfido, voici que l’on retrouve, en duo cette fois-ci, le saxophoniste français installé en Allemagne. C’est la première fois qu’il invite sur disque le célèbre contrebassiste Barre Phillips, mais leur entente paraît ancienne. Elle en a en tout cas le naturel. Point de surenchère, aucune rudesse, « Genesis » s’ouvre sur un ténor languissant qui se love dans un tapis d’archet. Philips est comme à l’accoutumée profond et grave, à la fois lointain lorsqu’il visite les infrabasses et terriblement présent, incontournable, monolithique.

La nervosité toujours sous-jacente dans le jeu de Plandé se fait diffuse, d’autant qu’il n’a pas à composer avec les assauts d’un partenaire explosif. Phillips n’a pas besoin de hausser le ton, il s’impose avec un naturel désarmant : en témoigne « Black Hole », le plus long morceau de Breath of Time. Lorsqu’il lâche ses pizzicati indolents et pourtant telluriques, l’archet entame une conversation ininterrompue avec Plandé, chaleureusement éclairée par un lyrisme généreux qui emprunte énormément à la grammaire coltranienne sans y céder totalement. « Cry », qui lui fait suite, est d’ailleurs une antithèse soudaine et tendue où la contrebasse joue dans le même registre que le saxophone jusqu’à ne faire qu’une voix, d’abord submergée d’émotion puis de plus en plus impavide, tels des nerfs qui se calment.

C’est dans ce registre que les deux improvisateurs excellent. Il y a quelque chose de charnel, d’épicé dans cette rencontre. Plandé et Phillips s’effleurent, font jouer leur instrument avec tout le grain possible, pour laisser percevoir l’illusion d’une âme propre aux objets. Les morceaux sont courts, il ne s’agit pas de miniatures ou de chansons. Plutôt des instantanés d’éléments ressentis, des détails qui font sens lorsqu’ils se rejoignent (« Free Electron »). C’est ce souffle du temps qui parcourt ce bel album paru chez Jazzwerkstatt, cette respiration nécessaire qui donne de l’importance et du relief aux choses. Eric Plandé et Barre Phillips en sont les précieux explorateurs.