Scènes

Hamid Drake et Michael Zerang font l’été

C’est une gageure que d’assister à un concert en ce tout début d’été, surtout avec comme invités ces deux monstres des percussions que sont Hamid Drake et Michael Zerang. D’autant que ça se passe à Chicago.


flyer du concert

Les organisateurs ne voulaient pas céder aux contraintes liées à ce méchant virus. Ils ont maintenu le concert, l’ont diffusé en direct sur le site de Twitch TV (donc accessible via le Net partout) ; ils ont demandé aux spectateurs du direct une contribution de 10$ et mettent aujourd’hui cet enregistrement live en libre écoute.

Comme on peut l’imaginer, la musique est ici superlative. Pas d’effet, pas d’emphase, une dextérité époustouflante alors que tout paraît si simple. Et ça danse irrésistiblement, et les peaux chantent, et ça enchante.

Avant le set proprement dit, une image fixe : les instruments, pas de musicien mais la musique du duo, enregistrée au préalable. On se demande si tout le concert sera ainsi, mais non.

Plus de cinq minutes plus tard, les deux percussionnistes entrent en scène. Tout le set durant, face à face, ils joueront peu ou prou des mêmes instruments. Ils commencent par des congas, avec un tom en plus pour Zerang. Une bizarrerie : les sons semblent avoir été inversés au montage. Des rythmes primitifs, essentiels, obsédants, et des variations quasi mélodiques sur les deux petites percussions de Michael Zerang.

Puis ils se saisissent de tambourins (vers 30:00), Hamid Drake y ajoutant sa voix pour une mélopée quasi africaine. Économie de gestes d’un côté, danse du tambourin de l’autre, pour faire vibrer les cymbalettes. Des bribes de phrases, des onomatopées, des scansions vocales, puis une rythmique régulière pour la transe, ponctuée d’interjections. Difficile de rester assis et immobile. Un moment magique et irrésistible. Mais à la fin de cette pièce, le silence de la salle rappelle les circonstances.

Changement de cadre : une image fixe qu’on prend pour un tableau géométrique aux différentes nuances d’ocre et de brun. C’est un tissu sur une porte, qui s’ouvre sur un Hamid Drake un peu intimidé (44:00), pour lire un poème écrit en 1935 par Langston Hughes, pour les Noirs, les Indiens, les immigrés, les proscrits, pour tous en fait (pour ce que j’ai compris), avec un titre qui résonne étrangement aujourd’hui : « Let America be America again » ! Un texte mi-psalmodié, mi-parlé, porté avec une intériorité puissante, les mains derrière le dos… sauf lorsqu’il parle de liberté, puis il finit sur un soupir !

Retour de la musique. Des résonances métalliques par Michael Zerang face à sa batterie, puis son compagnon le rejoint. Le son est cette fois correctement latéralisé, même s’il subsiste un léger décalage. Des éclats, des crépitements, des roulements hors de toute pulsation régulière. C’est une subtile mélodie de timbres, les jeux sur la dynamique et l’expansion des sons en plus.

Au bout d’une heure, retour sur la porte, avec Michael Zerang cette fois, coiffé d’un châle évoquant un vague keffieh. Il nous conte Joe McPhee avec force expressions du visage, des mains, pas le moins du monde timide. Il s’agit d’un texte qu’il a écrit pour les 80 ans de son ami, mais il le dit pour la première fois en public.

Retour sur la scène avec les deux batteries et cette fois une rythmique assumée, avec des frappes toute d’orfèvrerie. On n’allait pas se séparer sans faire la fête, sans une danse qui bouscule notre timidité, aux marges de la frénésie ! Un dialogue intense, serré, imaginatif, avec des jeux sur les timbres, les scansions.

Retour de la porte. Elle s’ouvre sur nos deux amis aux visages masqués d’un châle (clin d’œil sanitaire ? politique ?) qui viennent nous souhaiter… un bel été ! Solstice oblige.

Hamid Drake - Michael Zerang (extrait de la vidéo)

Un intense plaisir musical par deux magiciens qui pourraient nous faire croire en un possible monde fraternel.

On ne sait combien de temps cet enregistrement restera visible sur ce site. Michael Zerang n’en sait pas davantage mais il assure qu’après, elle sera disponible sur la chaîne YouTube de ESS, l’organisateur de la série des Quarantine Concerts

Ce pur plaisir nous fait anticiper le retour tant attendu de l’atmosphère si particulière des concerts « en présentiel » où tout son peut être musique, où l’on mesure la chance d’être aux côtés de ces artisans du rêve.