Chronique

Roberto Ottaviano QuarkTet

Sideralis

Roberto Ottaviano (as), Alexander Hawkins (p), Michael Formanek (b), Gerry Hemingway (dms)

Label / Distribution : Dodicilune

Roberto Ottaviano est un rassembleur et un explorateur à la fois du Temps et de l’Espace. Le Temps, il l’avait franchi avec son Astrolabio. L’Espace, c’est le sujet de ce Sideralis. L’important est de rester la tête dans les étoiles et se laisser envahir par un sentiment très contemplatif, magnifiquement traduit par « Holy Gravity » et cette légèreté au saxophone baryton qui abolit toute pesanteur et se lie sans heurts au jeu si souple du contrebassiste Michael Formanek. Quant à l’aspect unificateur, ses orchestres en témoignent ; des artistes de tous pays et de toutes traditions, attirés par une gourmandise de l’improvisation liée à une extrême finesse. De Michel Godard et Gianluigi Trovesi à Glen Ferris, entre musique ancienne et Steve Lacy, Ottaviano aime parsemer ses œuvres d’affinités électives et de Third Stream. Rien d’étonnant pour cet élève de Ran Blake qui, avec ce nouveau QuarkTet, réunit une étourdissante brochette d’improvisateurs acclamés pour qui l’Atlantique est davantage une autoroute qu’une barrière naturelle.

Ce n’est pas Gerry Hemingway, remarquable d’inventivité lorsqu’il s’agit de donner du relief à la courte tournerie de « Afro Asteroids Game », qui prétendra l’inverse. Installé depuis des années en Suisse, l’enfant du Connecticut a intégré à sa musique une syntaxe européenne. Est-ce ce qui scelle l’entente parfaite avec le pianiste britannique Alexander Hawkins, qui avec Taylor Ho Bynum ou d’autres a si souvent fait le chemin inverse ? Dans « Ellingtonia », merveilleuse voie lactée constellée d’hommages, la précision des frappes métalliques fusionne idéalement avec les touches les plus cristallines du piano, dont Hawkins raffole. Mais, quand bien même le QuarkTet est constitué d’impressionnants solistes, le propos n’est pas individuel. Il y a parfois des fulgurances, des émulsions soudaines (Hemingway et Formanek sur la volcanique « Planet Nichols » où l’alto d’Ottaviano est l’étincelle). Nulle couverture tirée à soi, pas de querelle d’ego. Comment pourrait-il en être autrement, puisque les quarks sont toujours liés entre eux ? Chaque musicien est une particule élémentaire, libre de ses mouvements et inscrit dans un dessein, un grand Tout lumineux sans lyrisme superfétatoire.« Berenice’s Code », où Ottaviano effleure une base rythmique dense et colorée, en est le meilleur exemple.

Il y a inévitablement une dimension mystique à Sideralis. Elle s’inspire de la matrice baroque à laquelle l’écriture du saxophoniste fait fréquemment référence, à commencer par « Vulpecula » qui ouvre l’album et dont le thème est minutieusement déconstruit par la batterie puis le piano. Mais si la musique ancienne est la graine, le terreau commun est fertilisé par John Coltrane, inarrêtable comète qui file à toute vitesse et zèbre à de nombreuses reprises le ciel étoilé du quartet. Comme les véritables astres éteints, elle continue de briller à nos yeux cinq décennies après sa mort. En dépit de son introduction rêche et chaotique, « Centaurus » est ainsi un havre de paix et de douceur où Hawkins et Formanek jettent une lumière crue et chaleureuse sur la puissance qui traverse ce disque. Elle s’inscrit avec enthousiasme dans la trajectoire révolutionnaire, dans tous les sens du terme, du Free Jazz. Ce dernier a déjà percuté par le passé moult galaxies ; il se propulse encore dans l’inconnu avec l’infime atmosphère de l’abstrait « Sideralis ». Une bénéfique pluie d’astéroïdes.