Scènes

Chicago retrouve des couleurs 🇺🇸

Après une année de vaches maigres, le festival annuel et gratuit organisé dans le cadre splendide du Millennium Park, au cœur de la ville, revient à ses ambitions d’antan.


DJAZ Quartet @ Ben Beaker Billington

En 2023, le Chicago Jazz Festival avait essuyé le feu de la critique en raison d’une programmation où ne figuraient que trop peu de musiciens de renommée nationale ou internationale. Cela dit, la richesse de la scène locale avait permis de ne pas réduire la voilure. En outre, ce festival est un des rares en Amérique du Nord à donner voix au chapitre aux artistes locaux. Cherchant à plaire à un large public, il continue de présenter les vastes déclinaisons de cette musique avec une emphase multigénérationnelle allant des lycéens aux octogénaires (Billy Harper, Amina Claudine Myers ou Eddie Henderson).

Le Chicago Jazz Festival s’est déroulé du 29 août au 1er septembre. Le coup d’envoi est donné au Chicago Cultural Center, à un jet de pierre du Millennium Park. Diverses associations ont carte blanche pour présenter un groupe. Nous retiendrons le choix d’Elastic Arts Foundation.
L’an dernier, le saxophoniste Dave Rempis avait rendu son tablier alors qu’il avait programmé des concerts hebdomadaires pendant plus de vingt ans à Elastic, une salle et galerie située dans le quartier de Logan Square. Aujourd’hui, il est remplacé par une équipe composée d’Angel Bat Dawid (clarinette), Molly Jones (saxophone ténor et flûte), Ishmael Ali (violoncelle) et Ben Zucker (vibraphone et trompette). Ceux-ci forment également le DJAZ Quartet qui s’est produit avec comme invité le batteur Avreeayl Ra. Le set est constitué de trois compositions signées Dawid, Jones et Zucker qui soulignent une similarité d’approches. Loin d’ignorer les lignes mélodiques, elles offrent également une bonne part d’abstractions parsemées d’éclats et d’éruptions, notamment de la part de Dawid.

Billy Harper @ Virginia Saavedra

Parmi les octogénaires, la palme revient au saxophoniste Billy Harper qui se produit à la tête d’un quintet. À 81 ans, il est encore capable de signer un concert de grande qualité. Au programme, trois compositions, « Another Kind of Thoroughbred », « The One Who Makes the Rain Stop » et « Insight » qui, dans la grande tradition du soufflant en chef, font l’objet d’un long exposé. Autant dire qu’il n’y a pas de surprise, mais il ne faut pas bouder son plaisir, d’autant plus que l’inamovible Francesca Tanksley au piano est toujours aussi passionnante. La vraie révélation est le trompettiste Freddie Hendrix à la sonorité retentissante et claironnante. Mais il reste un bémol avec la présence du batteur Aaron Scott, ancien compagnon de route de McCoy Tyner, qui ne fait pas vraiment dans la nuance.

Enfin, nous avons le cas Lakecia Benjamin. La saxophoniste alto annonce la couleur en scandant à plusieurs reprises le nom de John Coltrane. On connaît sa dette envers le grand musicien depuis son album-hommage sorti en 2020, Pursuance : The Coltranes (Ropeadope Records).

Lakecia Benjamin @ Elizabeth Leitzell

Avec un accoutrement qui n’a rien à envier à la garde-robe de Miles Davis, elle dégage exubérance et générosité – elle sait mettre de l’ambiance et le feu aux poudres en haranguant la foule. Son jeu démontre un aplomb et une intensité rares. Son jeu incisif fait mouche sur son arrangement de « My Favorite Things », un standard rendu mythique par Coltrane, ou durant son duo haletant avec la batteur E.J. Strickland. Les esprits grincheux feront valoir le côté quelque peu ostentatoire de sa performance, mais si le jazz souhaite être plus attractif, il a certainement besoin de telles personnalités.

Un dernier mot pour indiquer que les trois soirées au Millennium Park se sont conclues par des prestations qui ont emballé le public. Quels que soient les goûts de chacun, la chanteuse Catherine Russell, le saxophoniste Kenny Garrett et le groupe de salsa Spanish Harlem Orchestra ont tous su créer une atmosphère festive et susciter l’engouement de la majorité des spectateurs.