Tribune

Le Souffle Continu face à la Covid-19

S’il y a bien un secteur impacté par les mesures de confinement et les craintes du public, c’est bien celui de la culture. Parmi les victimes dudit secteur, les disquaires. 


Albums Souffle Continu

À Paris, celui qui est une forme de Mecque des musiques innovantes, aux franges, toutes esthétiques confondues, c’est « Souffle Continu », un disquaire indépendant face à la Covid-19.

Bernard Ducayron et Théo Jarrier

Pour les aficionados, cette boutique joue un rôle équivalent à la librairie Maspero (Quartier Latin, Paris) dans les années 70, lorsqu’une certaine jeunesse cherchait des références politiques pour sortir des blocages de l’époque. Ici aussi, on fouille fiévreusement, on pose des questions, on demande des conseils… et on trouve. C’est aussi le lieu où viennent des musiciens de passage pour proposer leurs nouveautés en même temps qu’un set de musique, avec bavardages et apéro à la clé. Oui, Souffle ne manque pas d’inspiration.

Un contact fin mai pour savoir comment la boutique faisait face. 
D’abord, pendant le confinement, et en dépit des problèmes postaux, Bernard Ducayron et Théo Jarrier ont activement promu les ventes en ligne d’albums physiques, avec quand même un certain succès. Ensuite, oui, ces tenants du bel objet, des albums de collection, du vinyle, ont créé une plateforme Bandcamp, pas pour tous les albums qu’on peut trouver dans leur boutique, mais pour ceux qu’ils éditent. De même, ils sont présents sur Discogs avec un peu plus de 3000 références. Un tour sur ces sites serait bienvenu, voire même une inscription en tant que follower afin de rester informé des nouveautés.
Enfin, lorsque l’autorisation d’ouvrir les boutiques est arrivée, des visites ont repris. Pas la foule, mais d’abord les amis ou les anonymes qui souhaitaient marquer leur soutien, et qui à l’occasion ont lâché quelques euros pour s’offrir le ou les albums après fouilles attentives, écoutes, conseils…
Cela ne fait tout de même pas un retour à la normale. Peut-être cela viendra-t-il avec le temps. 
D’autres pistes d’avenir ? Pour le moment ils tentent de faire face, du mieux qu’ils peuvent. Mais rendez-vous est pris d’ici un mois pour voir comment les choses évoluent.
 
- Comment le Souffle Continu fait-il face à cette crise sans précédent ?
Pour le moment, nous ça va, on tient plutôt bien… Étonnamment !!!
Après avoir été totalement tétanisés pendant les trois premières semaines de confinement (arrêt total de tout, plus de ventes, plus de VPC…), nous n’avons, malgré tout, pas attendu la fin du confinement pour refaire quelques excursions régulières en boutique, un jour chacun en moyenne (Bernard Ducayron et Théo Jarrier), pour gérer les commandes du site, rouvert en avril, celles de Discogs et de Bandcamp, pour faire du rangement et traiter l’administratif que nous ne pouvions pas faire à distance.
La situation a été forcément assez difficile, puisque tout a été bien planté, mais nous n’avons pas été les seuls.
Techniquement n’ayant pas eu droit au chômage partiel, nous avons pu bénéficier d’une indemnité forfaitaire de 1500 euros, attribuée aux indépendants pour le mois de mars et avril, pour une baisse de chiffres d’affaires de -70%. Notre bailleur social Paris Habitat nous reporte le règlement du trimestre dans son intégralité. Report des charges… ça risque d’être plus compliqué, ces histoires de report, à la rentrée de septembre.
On attend encore des annonces en cours par rapport à tout ça.
Comme vous le savez, nous n’avons pas attendu le virus pour nous rendre compte que le marché du disque est en pleine mutation, et cela bien avant le confinement. Les structures de désagrègent petit à petit depuis quelques années déjà.
Nous avons rouvert la boutique il y a un mois maintenant et la reprise est étonnamment bonne pour nous…
Nous avons pas mal de commandes en ligne (Discogs + Bandcamp + notre site), davantage que d’habitude, en plus du retour des clients en boutique, nos habitués et des nouveaux, qui semblent avoir pris conscience qu’il fallait soutenir les disquaires indépendants.
De plus, nous avons une nouvelle sortie du label qui nous porte un peu (Théâtre du Chêne Noir).

Théâtre du Chêne Noir - Miss Madona

Nous avons aussi enfin pu nous faire un petit salaire, ça faisait deux mois et demi…
La trésorerie est donc un peu remontée, on tient donc financièrement pour le moment, bien que fragilisé, et on attend de voir ce qui se trame pour les mois à venir.
On reste un peu dubitatif pour la suite. On reste prudent… On attend de voir !!!

- On voit ce que vous avez fait pour vous adapter aux changements en cours, mais vous êtes aussi engagés dans des dispositifs nouveaux, qui ont besoin de soutien
Oui, tout est sur le site du syndicat dont nous faisons partie : le Gredin.
Par exemple, il y a le développement du dispositif Click & Collect. Ce projet chiffré est prêt à être réalisé. C’est un dispositif permettant de commander en ligne les albums souhaités. En retour, le site de vente propose différents magasins affiliés où les produits sont disponibles. Une fois le choix fait, le client se rend à ladite boutique retirer son produit, étant sûr qu’il y est disponible. Il y a nécessité d’une aide publique pour financer cette plateforme pour les disquaires indépendants. Cela permettrait de répondre aux besoins de développement de chiffre d’affaires et de visibilité de ces boutiques et ça peut utilement s’inscrire dans les projets de revitalisation des centres-villes sur tout le territoire français. Il est également une alternative à la domination exponentielle d’Amazon. 
 
- D’autres projets ?
Oui, bien sûr. On peut citer la mise en place des dossiers de demande de la subvention du CALIF pour l’équipement des disquaires avant la fin de l’année 2020. Cette étape est indispensable pour la numérisation des magasins. 
 
- Et puis vous avez besoin d’aides financières directes. Que souhaitez-vous ?
Au niveau national, il faudrait une TVA réduite, comme pour tous les autres secteurs de la musique et de la culture, l’exonération des charges fiscales et sociales, et des mesures sur le paiement des loyers.
 
Il y a aussi le report ou l’effacement du CFE (contribution foncière des entreprises). Certaines villes ont déjà voté cette exonération
 
On pense enfin au rôle des assureurs. Si une pandémie pouvait être reconnue comme état de catastrophe naturelle, nous pourrions solliciter les assurances pour faire jouer la clause de perte d’activité… Pour nous, le plus important c’est le rôle des assureurs qui peuvent prendre en charge via la perte d’exploitation toutes les charges de la société !
 
- On voit que vous ne manquez pas d’initiatives face à cette déferlante de changements. Un moment fort, le Disquaire Day le 20 juin.
Oui le rendez-vous annuel des disquaires indépendants s’est déroulé ce samedi 20 juin en France sur tout le territoire, avec uniquement les parutions d’éditions françaises.

par Guy Sitruk // Publié le 21 juin 2020
P.-S. :

le Souffle Continu s’est doté de plusieurs plateformes

A présent, le solo de Hamid Drake en présence de William Parker !