Chronique

Franck Médioni

Jimi Hendrix

Un livre de plus consacré au plus grand guitariste du XXe siècle ? Depuis quarante ans, les nombreuses œuvres consacrées au Voodoo Chile nous ont déjà beaucoup appris sur celui qui se présentait volontiers comme un extraterrestre et, de son propre aveu, n’était lui-même que sur scène. Jimi Hendrix, et sa carrière fulgurante ont fracassé le monde de la musique en une poignée d’années… Quel parcours météorique, en effet ! Il s’écoulera moins de quatre ans entre son arrivée - décisive - à Londres, en septembre 1966 – il n’avait pas 24 ans et venait tout juste de rencontrer Chas Chandler à New York, avant de mettre sur pied son Experience avec le bassiste Noel Redding et le batteur Mitch Mitchell – et sa mort brutale, toujours à Londres, le 18 septembre 1970, quelques jours après son concert au festival de l’Ile de Wight. Entre ces deux dates, le génial gaucher aura déclenché sur la planète un véritable tsunami musical nourri du blues qui le hantait depuis son plus jeune âge. Plus rien ne sera comme avant, au point que son jeu foudroyant, unique, sera pour quelques-uns (et non des moindres, citons Eric Clapton) la source d’un véritable questionnement sur leur propre engagement dans la musique. Rappelons aussi que Jimi Hendrix fut l’un des héros d’un des moments phares de l’histoire du rock, le festival de Woodstock.

Publié dans la collection Folio Biographies, ce livre de Franck Médioni mérite qu’on s’y arrête, même s’il y a fort à parier qu’il n’apprendra rien aux exégètes. Ceux-ci ont certainement lu et relu tout ce qui s’est écrit sur Hendrix et possèdent tous ses disques… ou presque car dans ce domaine, il n’est pas toujours facile de s’y retrouver. Si la discographie officielle – et particulièrement celle publiée du vivant de l’artiste – est facile à établir [1], il n’en va vraiment pas de même pour l’autre, qui demeure d’une grande hétérogénéité. Comme le dit justement Régis Canselier dans son propre livre [2] : « Son œuvre est malheureusement desservie par une discographie chaotique se répartissant sur plus d’une centaine d’albums où se côtoient, sans discernement, titres majeurs et morceaux purement anecdotiques ». Un maelström dont il est d’autant plus difficile de faire une synthèse correcte que depuis la mort du guitariste, ce volumineux patrimoine s’est retrouvé entre les mains de différentes personnes pas forcément disposées à servir les intérêts de sa musique.

Cette biographie-ci est attachante en premier lieu parce qu’elle émane d’un écrivain dont le style amplifie avec élégance la dimension romanesque d’une histoire de vie foudroyante. Depuis l’enfance difficile à Seattle du petit Johnny Allen Hendrix, dont l’état civil sera modifié en James Marshall Hendrix, en passant par une vie familiale tourmentée et les premières guitares sur lesquelles il déploiera, en autodidacte, un talent singulier, puis l’expérience new-yorkaise aux côtés des Isley Brothers avant le grand bond en avant, celui de Londres et l’explosion de l’Experience (marquée, entre autres, par un concert à l’Olympia et, peu de temps après, par la sortie du 45 tours « Hey Joe ») l’histoire d’Hendrix – où les femmes occupent une place importante, elles qui furent les partenaires de sa sexualité plutôt frénétique, qu’il considérait comme consubstantielle de sa musique et sur laquelle l’auteur a la bonne idée de ne pas s’épancher au-delà de ce qui semble essentiel – défile à la vitesse de l’éclair. Médioni n’hésite pas, comme dans le chapitre consacré à San Francisco et le mythique « Summer of Love », à proposer des rappels historiques, indispensables pour qui veut comprendre la démesure d’une carrière stoppée brutalement, dans des conditions encore mal expliquées, mais directement liées à la consommation d’alcool et de stupéfiants. Cette fulgurance est bien rendue au fil des pages, le lecteur vit lui-même cette accélération surhumaine qui est la marque du guitariste, l’estomac presque noué.

Mais par-dessus tout, c’est en amoureux de la musique que Franck Médioni trouve les mots justes pour évoquer l’incroyable génie de Jimi Hendrix. Plutôt réservé, celui-ci ne se laissait pas facilement approcher et cette biographie, inconsciemment peut-être, maintient une distance reflétant sans doute ce halo de mystère. En d’autres termes, Hendrix ne nous devient pas familier pour autant – et c’est tant mieux ; d’ailleurs, rares sont ceux qui peuvent se prévaloir de l’avoir intimement connu. (On pense à John Coltrane, autre musicien hanté par son art et qui ne se livrait qu’en musique.) Les grandes étapes de sa vie sont fidèlement retranscrites, justice est rendue à la quasi-irréalité de son jeu et à la puissance intérieure qui propulsait son blues vers des espaces presque cosmiques. Hendrix se consumait et savait qu’il aurait peu de temps pour partager avec son public le feu destiné à « rendre les gens heureux ». Une météorite.

Enfin, s’il insiste souvent sur l’idée qu’Hendrix était avant tout un bluesman, Médioni nous ouvre d’autres portes, en particulier en imaginant ce qu’aurait pu être la suite de sa carrière. On devine que la dimension jazz qui émergeait de sa musique (en témoignent ses rencontres avec des musiciens tels que John McLaughlin ou Dave Holland et ses projets avec Miles Davis ou Gil Evans) aurait pu être une orientation clé. Le trompettiste rapporte : « Il avait une oreille naturelle pour la musique. Je lui passais un de mes disques, ou bien un de Coltrane, je lui expliquais ce que nous faisions. Puis il s’est mis à intégrer certaines de ces choses dans ses disques. C’était formidable. Il m’a influencé, je l’ai influencé, et c’est comme ça, toujours, qu’on fait de la grande musique ».

On ne saura jamais. Mais ce portrait nous rappelle avec acuité combien le passage furtif de Jimi Hendrix sur cette vieille Terre aura été – et demeure – un véritable séisme dont les répliques, aujourd’hui encore, se font toujours sentir. Lecture recommandée.

par Denis Desassis // Publié le 29 mai 2012

[1Elle se compose de trois albums studio : Are You Experienced ? (1967), Axis : Bold As Love (1967), Electric Ladyland (1968), auxquels il faut ajouter Band Of Gypsys (1970) publié après sa mort. Tout le reste de la discographie est posthume, puisé parmi des prestations en concert et de nombreuses heures d’enregistrement en studio.

[2Jimi Hendrix, le rêve inachevé.