Franck Médioni, Tom Buron
Le Nom du Son - Une anthologie Jazz et Poésie
Label / Distribution : Castor astral
Les affinités électives entre jazz et poésie sont fermement établies depuis près d’un siècle. Mais que vient faire dans la présente anthologie un poème de Drieu La Rochelle, sinistre séide de Goebbels, au sommaire d’un recueil aux vertus présumées émancipatrices, qui emprunte son titre à l’épigraphe d’un texte gnostique figurant dans le roman « Jazz » de Toni Morrisson, inlassable combattante des luttes des Afro-américains ?
La présence d’un Amiri Baraka, alias Leroi Jones, auteur de l’essai fondateur « Le Peuple du Blues » qui déclama ses poèmes aux côtés de Sun Ra et de The Roots, entre autres, peut également mériter débat, tant il se répandit en logorrhée homophobe (lui qui était bisexuel) et antisémite – faut-il vraiment séparer l’homme de l’artiste… that is the question ?! N’eut-il pas été plus pertinent de convier le poète de Watts Kamau Daa’ood dont les « Notes d’un griot de Los Angeles » sont parues chez le même éditeur en version bilingue en 2012 ? On pourrait également regretter que les poèmes originellement écrits en langue anglaise par Claude McKay, James Baldwin, Langston Hughes, Jack Kerouac, Ted Joans, Bob Kaufman, Allen Ginsberg ou Jayne Cortez (qui fut la compagne d’Ornette Coleman) ne fassent pas l’objet d’une présentation bilingue. Contraintes éditoriales obligent, certainement.
La présente anthologie n’en mérite pas moins de figurer sur les rayonnages d’une bibliothèque jazzophile, tant elle regorge de pépites rares, tel cet extrait des « Haïkus du Petit Matin et du Soir » (1979) de Fukyo Matoa consacré à Monk (l’un des musiciens les plus inspirants en termes de « poésification » du jazz, aux côtés de Louis Armstrong et d’Albert Ayler). Ce recueil s’adresse aussi à la jeune génération de jazzfans et de musicienn·es, proposant par exemple un surprenant « Pour Shabaka » (Hutchings, who else ?), écrit par l’Australienne Janette Dempsey-Lennox, par ailleurs elle-même saxophoniste. Le talentueux poète originaire de Toulouse établi dans le Lubéron, Thomas Vinau, signe paradoxalement un sonnet déstructuré pour Louis Armstrong - alors qu’on le sait performeur dans des univers tangentiels. Par-delà le jazz même, cette anthologie convie également une artiste éthiopienne, Mihret Kebede, active sur les scènes d’Addis Abeba, avec un « Conte de Silence » qui vise à l’universel. Tom Buron, qui a commis cette anthologie aux côtés de Franck Médioni, dont on ne peut que saluer l’inlassable travail de passeur de jazz, est lui-même présent dans le recueil avec un hommage aux Lounge Lizards.

