Chronique

Frank Zappa

Guy Darol

Label / Distribution : Folio Gallimard

L’expertise de Guy Darol n’est plus à prouver dans de nombreux domaines musicaux, mais il est de notoriété publique que ce qui touche de près ou de loin à Frank Zappa n’a guère de secret pour lui. L’indubitable particularité du divin moustachu étant d’être avant toute chose un touche-à-tout génial et sans limite, lorsque notre confrère de Jazz Magazine publie un livre à son sujet, c’est la certitude d’un tour d’horizon aussi précis et documenté qu’il sait être accessible et didactique. La littérature francophone sur le fondateur des Mothers of Invention est assez dense et - du moins le croyait-on ! - exhaustive. Des bouquins de Darol lui-même (on conseillera vivement, puisque votre serviteur s’y sera abîmé les yeux jusqu’à ce que la couverture rende l’âme, le dictionnaire Zappa de Z à A ou encore Frank Zappa ou l’Amérique en Déshabillé, tous les deux parus au Castor Astral), mais également ceux de différents exégètes qui nourrirent la passion dévorante des amateurs zappaïens. Jamais, pourtant, un recueil tel que cette biographie, parue directement en poche chez Folio, n’avait offert un point de vue aussi original et un éclairage singulier.

Nous autres zappaholics, on pense avoir appris par cœur la genèse : l’histoire des Mothers, la chute de la fosse d’un concert italien qui permit à la bête de scène de se poser pour écrire, les combats pour la Liberté et le domptage progressif de son désir orchestral ; de son autobiographie jusqu’aux divers évangiles parus, tout semblait être à disposition. Mais c’est la force des vrais experts que de savoir défricher les terrains que l’on croyait amplement labourés. En s’attachant principalement à la jeunesse de Zappa, largement méconnue, et à l’approche de son œuvre vu par le prisme de l’animal politique, Guy Darol offre des clés inédites. Voici qui donne immédiatement des envies de réécoutes nouvelles, notamment de ce manifeste incontournable qu’est Uncle Meat [1].

En insistant par exemple sur son attachement au dadaïsme, en démontrant l’importance de ses déménagements successifs dans sa prime jeunesse, la biographie montre à quel point la précocité et l’étendue du spectre culturel de Zappa est le socle d’une démarche qui ne laissait jamais rien au hasard, et n’aspirait qu’à l’indépendance et à l’exigence. Sans sombrer dans l’écueil de l’hagiographie ou de la vaine érudition, Guy Darol dresse un portrait généreux et amoureux d’une figure incontournable du XXe siècle qui n’a pas fini d’irriguer le XXIe. Agrémenté d’une écriture claire, fluide et friande de récit et d’Histoire, Frank Zappa est de ces ouvrages qui se lisent avec avidité quand bien même on connaît la fin. Il conviendra tout autant à ceux qui ont plus d’une centaine de disques ornés du logo du Zappa Family Trust qu’aux malheureux qui ne connaissent que partiellement ce symbole de l’Amérique universaliste dans ce qu’elle a de plus fascinant et riche. Attention cependant : ce livre risque de vous faire devenir maniaco-zappaïen. Rassurez-vous : c’est une maladie irréversible, mais on y survit avec bonheur !

par Franpi Barriaux // Publié le 29 janvier 2017

[1Ce qui tombe à pic, car vient de paraître Meat Light, triple album documentaire autour de cet oeuvre !