Chronique

Stoffner / Mahall / Lovens

Mein Freund Der Baum

Flo Stoffner (g), Rudi Mahall (bcl), Paul Lovens (dms)

Label / Distribution : Wide Ear Records

Auteur d’un solo remarqué il y a quatre ans, le guitariste zurichois Florian Stoffner, par ailleurs membre de l’orchestre de Manuel Mengis, propose une rencontre avec deux improvisateurs allemands renommés, qui s’étale entre Zürich et Lisbonne au mois d’avril 2016. Le batteur Paul Lovens et surtout le clarinettiste basse Rudi Mahall sont des compagnons à sa mesure pour des discussions au long cours : Lovens a forgé sa réputation auprès d’Alexander Von Schlippenbach dans un rôle de rythmicien hors pair. Ici, il est un créateur aride, double agressif d’une guitare électrique qui joue plus sur la sécheresse que sur l’explosivité. Quant à Mahall, issu de la même famille de musiciens que Lovens, la densité et l’enchevêtrement du jeu en font une pointe du triangle, absolument libre de faire parler le cri mais aussi le ronflement et les slaps très secs. Un façon de donner vie à une musique taciturne, voire rugueuse (« Freund »).

D’ailleurs, c’est la clarinette qui insufflera une énergie nouvelle aux prémices de « Der », déliant au fur et à mesure la batterie et la guitare et proposant un embryon de mélodie, vite entamé par une guitare subitement devenue tranchante. C’est la leçon de ce long morceau où tout se joue : peu importe l’instigateur, c’est l’élan collectif qui donne l’impulsion et la maintient en vie. Lorsque, après un léger flottement, le mouvement redémarre, ce sont les cymbales de Lovens qui sont en pointe. Il cède bientôt sa place aux craquements des cordes de la guitare qui ouvrent la porte à une sorte de fourmillement dans l’infiniment petit ; un changement de dimension qui montre que tout palpite dans cette rencontre intense.

Mein Freund der Baum signifie « Mon ami l’arbre », et c’est vrai qu’il y a quelque chose de végétal dans cet album qui sent l’humus autant que le soufre. Si l’ami du trio est un arbre, classons-le plutôt du côté des bois enchantés, et doués d’une certaine conscience. Une forêt qui palpite, emplie de sève généreuse et nourrissante. Il n’est pas anodin que « Baum » se révèle le titre le plus remuant, comme si la masse raboteuse prenait instantanément vie, entre la sonnerie du métal et le crissement du bois. Si Stoffner semble parfois en retrait, c’est qu’il effectue un nécessaire travail de liant. C’est la nervure de la feuille qui transmet l’énergie et permet de faire bruisser un tronc gigantesque qui prend racine dans la meilleure des musiques improvisées.