Chronique

Céline Voccia

Abîmes

Céline Voccia (p), Jan Roder (b), Michael Griener (dms)

Label / Distribution : Jazz Werkstatt

Nul n’est prophète en son pays : c’est par l’entremise de Silke Eberhard que le nom de la pianiste française Céline Voccia est parvenu à nos oreilles. Installée à Berlin depuis des années, la jeune femme a suivi - à notre décharge - un parcours qui l’a tenue éloignée de la France : après des études à Genève, elle a investi avec appétit la scène free de la capitale allemande, multipliant les rencontres, notamment avec Eberhard en duo ou avec Frank-Paul Schubert en quintet. Avec Abîme, elle propose un trio classique avec deux figures de cette scène, le batteur Michael Griener et le contrebassiste Jan Roder, notamment entendu avec Ulrich Gumpert ou Uwe Oberg, deux pianistes dont on peut mesurer l’importance pour Voccia, notamment dans l’intense « Dislocation » où Roder fait parler sa puissance et entraîne la pianiste dans les entrailles de son instrument pour mieux saisir une énergie brute qui progresse sur le fil des cymbales.

La musique de Céline Voccia s’attache avant tout aux sensations, à un mouvement qui aime les montagnes russes, comme en témoigne son jeu très subtil avec le silence dans « Néant », quand une main droite aussi sèche que parcimonieuse vient briser la lente progression du pizzicato de la contrebasse. L’intensité est souvent à son comble et le piano, même lorsqu’il est avare de notes, ne se perd jamais en conjectures ; avec ses compagnons, Céline Voccia sait toujours précisément où elle va. Son jeu singulièrement puissant imprime une direction farouchement défendue, même lorsque le propos se fait moins abrupt, comme dans « Ascension », qui débute dans un dialogue entre le piano et la batterie, véritable courroie de transmission du trio.

Avec sa solide culture classique, Céline Voccia propose une musique qui interroge la spontanéité et la vigueur, armée d’une technique sans défaut. Dans « Rémanence », qui clôt l’album dans une longue improvisation collective, elle construit avec la contrebasse de Roder un jeu extrêmement subtil sur le spectre sonore, de manière très abstraite, se donnant le temps de construire un univers en constante expansion, privilégiant l’infiniment petit. Paru chez Jazzwerkstatt, ce nouveau trio est à découvrir d’urgence.