Chronique

Gauthier Toux

The Biggest Steps

Gauthier Toux (p), Simon Tailleu (b), Maxence Sibille (dms).

Label / Distribution : Kyudo Records

Du côté de chez Citizen Jazz, voici quelques années qu’on suit d’assez près Gauthier Toux, ce pianiste franco-suisse qui, petit à petit, imprime une marque sensible dans le paysage musical. The Biggest Steps est sa troisième incursion discographique en trio, après Unexpected Things en 2016 et The Colours You See en 2018. Des activités triangulaires qui ne lui interdisent nullement de distiller son talent en d’autres sphères, en particulier chez son ami champenois le saxophoniste Léon Phal, dont il prend un malin plaisir à enluminer le jazz « dance floor » enfiévré, en particulier lorsqu’il est aux commandes d’un synthétiseur analogique aux couleurs vintage. Les curieux savent déjà que deux albums en témoignent, Canto Bello (2019) et Dust To Stars (2021).

Ici, point de claviers exubérants, pas d’électronique non plus comme sur l’album For A Word en 2020, seulement un trio dans sa formule acoustique la plus classique (comprenez par là qu’il est question d’une certaine noblesse dans l’expression). Et si d’évidentes références sautent aux oreilles à l’écoute de ce disque – le lyrisme méditatif d’un Brad Mehldau, les tensions hypnotiques d’un E.S.T. – on comprend aussi que Gauthier Toux porte en lui bien des musiques qui l’ont accompagné depuis toujours ou presque : Coltrane, Steve Reich ou les Beatles (ici présents via une composition de Paul McCartney, le très beau « Jenny Wren »). C’est là une diversité d’héritages que rappelle avec à-propos Daniel Yvinec dans le beau texte figurant sur le livret du disque.

La cohésion du trio, partiellement renouvelé avec l’arrivée de Simon Tailleu à la contrebasse aux côtés du fidèle Maxence Sibille à la batterie, irradie les onze compositions de l’album. On pourrait penser que c’est là la moindre des choses, que « jouer ensemble » relève de l’évidence. Il n’est pourtant jamais superflu de le souligner. D’autant plus qu’en réalité, on perçoit cette belle entente dans l’attention portée aux élans collectifs, aussi bien qu’à travers la circulation de la parole au sein de cette cellule, et dans les incessants allers-retours qu’effectuent les musiciens en pratiquant l’échange de leurs rôles, alternant celui de mélodiste et de rythmicien avec une même aisance. Il en va de même pour les climats instaurés, variables et constamment lumineux, où puissance et liberté se conjuguent (« There Is No Shortcut », « Hanging On It ») avant de céder la place à des instants beaucoup plus suspendus, voire empreints de délicatesse (« A Secret Place », « Twelve »).

Au bout du compte, The Biggest Steps ressemble à une promenade au cœur d’un monde dont le rythme s’accélère parfois avant d’offrir un temps de repos. La brillance de ses couleurs tantôt diurnes, tantôt vespérales, exerce un effet d’attraction qui renvoie peut-être au sentiment de liberté qui a gagné chacun·e d’entre nous après de longues périodes d’isolement. La musique de Gauthier Toux est là aussi pour dire la vie.