Scènes

Gauthier Toux sort de résidence au Moulin

Concert de sortie de résidence du Gauthier Toux trio au Moulin à Jazz (Vitrolles).


Gauthier Toux Trio © Gérard Tissier

L’une des nouvelles sensations du piano « jazz mais pas que » a donné un concert de fin de résidence au Moulin à Jazz avec Simon Tailleu à la contrebasse et Maxence Sibille à la batterie, sa rythmique habituelle. Nouvelles compositions et titres de son précédent répertoire déjà rodé sur les scènes européennes : les propositions du trio ont, ce soir-là, conquis le public du lieu, plein à ras bord !

Gauthier Toux © Gérard Tissier

Le premier set commence par un « morceau qui vient de nulle part », précise Gauthier Toux [1] : issu de la balance lors de la résidence qui a commencé quatre jours auparavant. Le pianiste assume le fait que les recherches menées à Vitrolles, et commencées avant certainement, sont marquées par un « retour au piano », fût-il augmenté, à savoir passé par le filtre de moult effets. Ces derniers n’empêchent d’ailleurs pas l’organique d’advenir, que ce soit dans la maestria instrumentale du leader (il part d’un simple motif arpégé pour atteindre un climax tempétueux et doux simultanément) ou dans la résonance de la section rythmique. La progression séquentielle des titres est hypnotique à plus d’un titre. Car si les fréquences naturelles des instruments forment la matière que pétrissent les musiciens, les compositions sont nourries d’influences house, hip-hop et breakbeat clairement revendiquées et nettement digérées. Pour ce groupe, l’important est de « penser en termes de musique et pas de cases ». Avec de telles exigences, dansantes et savantes, libres et construites, le trio atteint une dimension symphonique sans pour autant oublier de glisser quelque dissonance qui fleure bon la blue note. Entre le jeu de mailloches poétiques du batteur et la furia pianistique du leader, Simon Tailleu tient les murs d’une maison nommée plaisir, aux fondations toujours mouvantes. Ainsi de « Patience », une sorte de marche désarticulée, dont émane un archaïsme burlesque par un soupçon évanescent de jeu stride. La dramaturgie polyphonique proposée par Gauthier Toux et ses musiciens prend des atours d’hymnes à la joie.

Simon Tailleu © Gérard Tissier

Le second set devait confirmer cette appétence pour la musique avant toute chose. Avec ce besoin d’aller jusqu’au bout des notes au détour d’un « Sur le fil » construit autour d’un arpège limpide et d’une rythmique subtilement funk : Simon Tailleu déroule une ligne de basse pleine et entière, fondée sur un profond sens du blues, voire de la soul. C’est d’ailleurs pour sa connaissance de ces univers afro-américains que le leader l’a sollicité. Le thème « The Biggest Steps » (un clin d’œil à Coltrane, assurément) permet de voir et d’entendre Maxence Sibille dérouler un drumming afro-beat expérimental, cependant que le piano, sous l’effet de la Patafix collée sur les cordes, sonne comme une kalimba. On pourrait même siffloter la mélodie, comme si l’on était invité dans un maelstrom d’archaïsmes uchroniques, tant cette musique invite à se plonger dans nos racines inconscientes tout en nous faisant imaginer d’autres futurs. Sur « Twelve », une ballade dédiée à l’être aimé, Toux, en solo, fait juste ce qu’il faut : son motif main gauche déploie des ondes de tendresse, cependant que les mille et une nuances de son toucher sont autant de caresses émouvantes.

Maxence Sibille © Gérard Tissier

La fin du concert devait être marquée par une incursion dans le domaine de la pop : sur « Jenny Ren », de Paul McCartney, le groupe semble dépassé par la musique dont il s’empare et sur « Wouldn’t It Be Me » des Beach Boys, les fulgurances mélodiques et les bombes rythmiques aboutissent à une sorte de psalmodie pour le dance floor (le leader se lève et adopte une posture de DJ, le morceau finit par sonner comme une « prod’ » façon house music). Un dernier rappel : « A Secret Place », composé chez Hélène Dumez à Marseille [2] . On finit par se fondre avec le trio dans un labyrinthe émotionnel, tant leur jeu en miroirs propose une respiration libératrice.

par Laurent Dussutour // Publié le 2 avril 2023

[1Prononcer le « x » pour ne pas risquer de manquer une quinte, fût-elle bémol.

[2Cette mécène de nombre de pianistes actuels ne cesse de recevoir des musiciens de jazz dans son appartement de la Rue Paradis à Marseille et édite des disques en solo de certains de ces derniers sur son propre label Paradis Improvisé, après les avoir fait enregistrer sur son Steinway.