Chronique

Vincent Glanzmann & Gerry Hemingway

Composition O

Vincent Glanzmann (dms, elec, fx), Gerry Hemingway (dms, elec,fx)

Label / Distribution : Fundacja Słuchaj

On sait depuis Kernelings, et dans les choix et les orientations qu’elle est la direction prise par Gerry Hemingway. L’Américain installé en Suisse depuis des années s’intéresse au son, à la résonance des objets et des peaux, à la spatialisation qui puise dans sa sensibilité de percussionniste. Sa rencontre avec Vincent Glanzmann était inévitable. Mieux, elle était absolument souhaitable et totalement délibérée ; depuis que l’on suit le parcours du batteur de Lucerne, là où enseigne Hemingway, on ne cesse d’évoquer l’ombre de son illustre aîné, de Sekhmet à Kasho’gi. Les voilà tous deux dans la lumière dans cette composition O où chacun fourbit la moindre des surfaces pour accorder les sons. Ainsi « Composition O part 4 » est un carambolage de strates qui s’imbrique avec plus ou moins de relief et une grande dynamique ; peu importe qu’elle soit très courte, elle s’installe dans la composition très ouverte comme une véritable tectonique des plaques qui conduit l’auditeur à des chocs sismiques.

Il y a beaucoup d’écoute et de respect entre les deux musiciens, mais ce n’est pas l’interplay qui importe ici. Pour ainsi dire, on pourrait croire que Glanzmann et Hemingway ne font qu’un au nom du son, ce qui est sensible dans la « Part 5 », la plus longue, qui se caractérise par de lentes plaintes de cymbales, soudainement incarnées. C’est ce fin métal qui focalise l’intérêt des deux musiciens. Ensemble, ils explorent leur perméabilité à l’électronique, à la légère saturation des micros et à la capacité à modifier, à modeler voire à altérer un matériel toujours en mouvement. Si c’est la frappe qui est ici à l’honneur, elle est d’abord à envisager comme la rencontre entre un objet et un autre, jamais comme une pulsation. C’est ce qui place de facto cette composition O hors du temps, mais ne la rend pas erratique pour autant, c’est au contraire une construction subtile, précise et vraiment rigoureuse qui ne laisse rien au hasard, sauf si celui-ci est guidé par une émotion, toujours aux confins du sensible.

Cette entrée de Hemingway dans le monde de Glanzmann, tout en tintements dans la « Part 1 », un univers qu’on avait déjà touché du doigt chez Veto Records ou avec Frantz Loriot, est particulièrement réjouissante, d’autant qu’elle a sa réciproque : le cadet a depuis longtemps cartographié la géographie intime de son glorieux aîné. Mais cette manière d’envisager la dualité, de communiquer voire de communier avec des partitions graphiques telles que l’intérieur du disque nous le montre, a plus d’un précédent. On pourrait penser à Braxton évidemment. Mais s’il y a des traces du maître, c’est dans l’aspect génératif, et finalement très ordonnancé de la Composition O. Pour le reste, on songe davantage au travail d’Hemingway avec Sarah Weaver, et notamment dans l’importance manifeste qu’ont les Éléments dans un disque court enregistré pour les Polonais de la Fundacia Sluchaj qui fait des merveilles en ce moment. A tout instant le vent ou la pluie, voire la sécheresse d’un désert, sont les images moteurs d’un disque saisissant.

par Franpi Barriaux // Publié le 11 octobre 2020
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