Entretien

Ludivine Issambourg, le souffle rebelle

La flûtiste présente un projet en hommage à son homologue Hubert Laws : Outlaws.

Ludivine Issambourg © Gérard Boisnel

La flûtiste a plus d’un tour dans son sac, nous le savons. Repérée avec son orchestre Antiloops, elle est depuis des années le fer de lance d’un jazz mâtiné d’électronique et de partis-pris très groove. Logique : elle vient de cette culture qui s’est illustrée dans la fin du siècle précédent chez Julien Lourau et d’autres, et qui a considérablement ouvert les oreilles de bien des mélomanes. Une musique qui se plaît à déborder dans le hip-hop et plus globalement ce qu’on appelle les musiques actuelles. La Normande revient avec Outlaws, un hommage très fin au flûtiste Hubert Laws, grand architecte du son CTI et légende de son instrument.

- Ludivine, comment passe-t-on de Bayeux au jazz électro hyperurbain ?

On découvre Julien Lourau Gambit à 16 ans ! Cet album a clairement orienté ma vision de la musique, de mon instrument : quand j’ai entendu ces possibilités de mélanger des sons acoustiques avec des sons électro, et en plus de pouvoir s’amuser en improvisant dedans : c’est un boulevard de lumière qui s’est ouvert tout à coup devant moi, et c’était tout droit…

Ludivine Issambourg © Gérard Boisnel

À 18 ans j’ai ensuite monté mon premier groupe H-NOD avec des super musiciens normands qui m’ont beaucoup appris. Nous reprenions des morceaux de cet album Gambit mais aussi du Herbaliser, Cinematic Orchestra ,Truffaz, Red Snaper, etc… Et c’est un enregistrement d’un concert d’H-Nod qui a conduit à ce que Wax Tailor m’appelle pour le rejoindre..

- Vous vous êtes illustrée avec Antiloops, et désormais il y a Outlaws. Est-ce qu’il y a un lien, une filiation entre les deux esthétiques ?

Évidemment : tout cela reste dans la grande famille de la musique afro-américaine, du groove, jazz, funk, hip-hop, etc.. Par contre ce sont bien deux projets différents , avec deux répertoires bien différents, deux formations/équipes différentes.

Dans Antiloops ce sont des compositions, et Outlaws est un tribute à Hubert Laws. J’avais envie de monter un autre projet, de reprises, avec d’autres musiciens, me nourrir de la musique de quelqu’un d’autre pour ensuite revenir avec un souffle frais sur mes compositions : Antiloops existe toujours et nous sommes d’ailleurs en train de préparer le prochain album qui ne devrait pas tarder à arriver..

Ludivine Issambourg par Jean-François Picaut

- Qu’est-ce qui vous a poussée à reprendre la couleur CTI ? Est-ce un label qui a marqué votre culture musicale ?

Oui : le son, les musiciens, les compositions…

Quand j’ai décidé de faire ce tribute, j’ai décidé aussi de me focaliser sur une période bien précise : déjà pour réduire le champ des possibles - la discographie d’Hubert Laws est considérable et très variée (une cinquantaine de pages A4 qui réunit tous les albums en tant que leader & sideman) - puis parce que j’aurais aimé vivre à cette période : j’adore le son, la conception que l’on en a à cette époque, ainsi que les compositions, les orchestrations, les messages transmis…

Pas mal de mes albums préférés d’Hubert Laws sont sur CTI. C’est un label qui a vraiment défendu une couleur, un type de son, une vision du groove, du jazz qui me parle.

- Quel a été le rôle d’Eric Legnini dans la production et dans la recherche, justement, de ce son ?

C’est Le Patron ! Eric m’a accompagnée de A à Z sur ce projet.

Dès le début de la conception de l’album je voulais un arrangeur/pianiste, un réalisateur, quelqu’un avec qui collaborer qui me ferait sortir de ma vision de flûtiste ; quelqu’un qui connaissait et aimait Hubert Laws au moins autant que moi.
La vie a fait qu’à ce moment j’ai croisé Eric Legnini ; je savais qu’il avait apprécié mon dernier album Lucid Dream avec Antiloops, je savais très bien qu’il avait la culture de la musique afro-américaine et qu’il aimait très certainement Hubert Laws. Je me suis retrouvée en face de lui, alors que je ne savais pas qu’il était là, à une soirée d’anniversaire d’un ami, j’ai lui ai parlé du projet directement, il m’a dit oui sans hésitation et avec enthousiasme. 2 jours après j’étais chez lui à choisir les morceaux pour l’album : ça a été évident et naturel, une très chouette rencontre.
Eric m’a dirigée, orientée, conseillée, il a participé à la conception du répertoire, le choix des musiciens, les arrangements, il était là en séance de mixage avec l’ingé son… Un directeur artistique, un vrai.

Notre instrument est un des plus vieux du monde et est représenté dans pratiquement toutes les cultures

- Quelles sont vos influences de flûtistes ?

Roland Kirk, Jeremy Steig, Magic Malik, Hariprasad Chaurasia, Eric Dolphy, Dave Valentin, Nicolas Stilo, Greg Patillo…

- Laws a bossé avec des musiciens soul, rock, funk. Vous avez bossé avec – notamment - Wax Tailor. Est-ce que c’est ce qui vous rapproche ?

Ce qui nous rapproche c’est cette vision de la flûte ou du musicien qui n’est pas coincé dans une seule esthétique. Hubert Laws est un musicien third stream, il joue autant avec un orchestre classique qu’avec un groupe de jazz en club, ou encore en big band latin, musique de film, groove, ternaire, binaire, on s’en fout , tout cela n’est que Musiques et je suis tout à fait d’accord avec cela.

Notre instrument est un des plus vieux du monde et est représenté dans pratiquement toutes les cultures : quelle richesse de répertoire nous avons !
Hubert est l’un des premiers flûtistes à utiliser des effets, notamment l’octaver, le delay… Hubert Laws a utilisé la technologie très tôt, ce que l’amplification pouvait apporter à la flûte, ouvrir des portes à encore d’autres esthétiques, porte ouverte que j’ai prise aussi.

Hubert Laws a utilisé la technologie très tôt, ce que l’amplification pouvait apporter à la flûte, ouvrir des portes à encore d’autres esthétiques, porte ouverte que j’ai prise aussi

- Vous avez participé à l’aventure UHT°, vous avez marqué le son du trip hop français, comment vous percevez l’obsession de nombreux musiciens hip-hop pour la flûte jazz ?

Cela a fait partie aussi des raisons pour lesquelles j’ai choisit de faire ce tribute à Hubert Laws : sachez qu’il est le flûtiste le plus samplé en hip-hop…
J’ai appris cela auprès de mon ami Mathieu Gibert, (scratcheur, beatmaker venant du hip-hop) qui est l’ingé son de tous mes albums, et a été l’ingé son façade chez Wax Tailor - c’est d’ailleurs comme cela que nous nous sommes rencontrés. Notre amitié s’est liée lorsqu’en tournée, dans les moments off ou après les concerts, il m’en apprenait sur les flûtistes de jazz, bossa, il me sortait des vinyles, des enregistrements, des versions que je ne connaissais pas. Il aime beaucoup la flûte, il vient du hip-hop et il m’a évidemment influencée dans l’évolution de mon son, de la place de mon instrument dans les musiques actuelles.

Antiloops © Gérard Boisnel

- Vous faites partie du Big Band de Thierry Maillard, on vous a entendue avec Michel Edelin… Quelles sont les collaborations qui vous font envie dans le jazz actuel ?

La scène anglaise depuis quelque temps m’attire, le jazz qui s’y joue me parle beaucoup : Kamaal William, Yussef Dayes, Alfa Mist et d’autres. ;.. ; mais aussi du côté de New York : Georgia Muldrow, et du côté français une collaboration avec Théo Ceccaldi me plairait beaucoup.

- Quels sont vos projets à venir ?

« OUTLAWS REMIXED » qui sortira en septembre, suivi d’un concert « release party » au Pan Piper le 5 octobre où toute l’équipe d’Outlaws sera là.

Puis, courant de l’automne un nouvel album d’Antiloops bien bien électro, et 2021 un nouveau projet dont j’ai commencé les enregistrements devrait voir le jour : un quintet acoustique…