Chronique

Hasse Poulsen & Fabien Duscombs

Free Folks

Hasse Poulsen (g, voc), Fabien Duscombs (dms).

Label / Distribution : Das Kapital Records

Comme une récidive. Il n’y a pas si longtemps – trois ans exactement – celui qu’on connaissait entre autres comme le guitariste du trio Das Kapital s’était affirmé enn véritable songwriter, avec un disque remarqué (et remarquable) dont la dénomination en forme de clin d’œil disait notre manière très française de prononcer son prénom. Hasse Poulsen, alias The Man They Call Ass (appréciez le jeu de mots), marchait dans les pas de quelques-uns de ses maîtres : Bob Dylan, Tom Waits, Leonard Cohen ou Paul Simon. Et comme il était souligné dans la chronique de ce disque, l’homme s’avérait « un observateur lucide des absurdités de notre monde, un chroniqueur de nos travers et de nos angoisses qui, à la fois engagé et désenchanté, appuie là où ça fait mal ». En sous-titrant l’album Sings Until Erverything Is Sold, il chantait en effet « un monde menacé par l’épuisement de ses ressources vitales, elles-mêmes objets de commerce ».

Le chanteur guitariste revient, cette fois accompagné d’un batteur libertaire membre actif du collectif toulousain Freddy Morezon Prod, l’autodidacte Fabien Duscombs. « C’est un sacré batteur. On ne peut pas imaginer mieux. Il peut tout faire. Du rock : écoutez sa grosse caisse, sa frappe. Du jazz, mais comme c’est beau ce qu’il joue ! De l’impro libre. Alors là, je n’y croyais pas ! C’est du vrai. Il groove. Et ça, c’est le plus important de tout. Le groove, le swing c’est le cœur de la musique ». Les propos d’Hasse Poulsen au sujet de son partenaire donnent le ton de leur association. Une plongée au cœur de la musique vivante, où le confort n’est pas forcément de mise et qui passe d’un style à l’autre, parfois brutalement, sans que pour autant l’ensemble paraisse disparate.

C’est en effet un objet musical brut que livre le duo. Free Folks a été enregistré live à l’Atabal de Biarritz et au Café Plum de Lautrec. Pas de fioritures, pas de son léché, bien au contraire. Pour un peu, on entendrait le tintement des verres sur les tables. Un disque dans le feu de l’action, imprévisible et nourri de jazz, de rock’n’roll et de free. Dans la continuité de son prédécesseur parce qu’on y découvre des « chansons de toujours » : Tom Waits (« Pour moi c’est important de reprendre Tom Waits, d’abord parce que je l’adore, ensuite parce que parfois je chante un peu comme lui et ça dérange certains de mes collègues, donc voilà : je ne me cache pas »), ou John Lennon (avec « Remember » du disque Plastic Ono Band. « C’est un chef d’œuvre, mais très rarement repris. ») par exemple. Sans oublier le Danois Povl Dissing, artiste essentiel aux yeux de Poulsen : « Je l’ai vu en concert il y a une bonne trentaine d’années et ce fut un choc : en tant que chanteur-conteur, il tenait la salle (elle n’était pas grande) dans sa main, jusqu’au dernier recoin. C’était extrêmement fort. Et la chanson « Fjeldvandreren » traite d’une manière ironique du pays du bonheur qu’est le Danemark. Dissing a une place pour moi équivalente à Jacques Brel ou Cornelis Vreeswijk » [1].

Continuité, mais différences aussi. Car si on peut considérer Free Folks comme une suite au travail entrepris en 2014, la frontière entre les deux disques est assez incertaine. Certes, dans l’un comme dans l’autre, Hasse Poulsen est chanteur, d’une présence très magnétique, mais il cherche cette fois à dépasser ce rôle. Il confiait récemment : « Free Folks est d’une certaine façon une suite à The Man They Call Ass, mais en même temps c’est un autre projet. La guitare et l’improvisation prennent beaucoup plus de place que chez TMTCA où le chanteur-auteur est au centre. Je vois Free Folks comme un pont, un lien entre les deux grands amours musicaux de ma vie : l’improvisation et la chanson ».

Moins politique peut-être, « car Free Folks, c’est plutôt la pioche dans le sac de souvenirs, des plaisirs et des émotions ». Encore que s’adonner à l’imprévisible et brasser les styles puisse être considéré comme un geste politique… « C’est vrai qu’il est difficile de mélanger les genres en France. Aujourd’hui, tout ce qui est intéressant se trouve entre les genres : vive les bâtards et les mélanges ! Je pense qu’un des grands chantiers musico-politiques d’aujourd’hui serait de bâtir un réseau de clubs pour la musique progressiste dans toutes les possibilités du terme. Il faut des lieux de concerts dédiés à la musique innovatrice, que la base soit électro, jazz, rock, dance, classique, retro, avant-gardiste, world, traditionnelle, etc. Des endroits où le public peut rencontrer les musiciens et la création musicale dans tous ses aspects. Pour le moment, on se trouve entre le jazz, la chanson, la musique actuelle, la world music et quand on mélange les genres, on n’est jamais vraiment accepté dans aucun des genres purs. Je déteste la pureté… mais j’aime beaucoup toutes les traditions de la musique ».

Tout est dit : Free Folks n’a pas vocation à être politiquement correct et revendique un côté dérangeant. Hasse Poulsen et Fabien Duscombs savent regarder dans le rétroviseur et partager leurs amours musicales, mais ils ont le regard braqué sur aujourd’hui et demain, sans concession. Nul ne sait de quoi ce dernier sera fait, alors il faut chercher, essayer, être en éveil. C’est un peut tout cela que dit ce disque, laboratoire de leurs émotions.

par Denis Desassis // Publié le 17 décembre 2017
P.-S. :

[1Cornelis Vreeswijk, né le 8 août 1937 à IJmuiden et mort le 12 novembre 1987 (à 50 ans) à Stockholm, est un acteur et un auteur-compositeur-interprète néerlando-suédois.