Chronique

Tobias Wiklund

Silver Needle

Tobias Wiklund (cornet), Simon Toldam (p), Lasse Morck (b), Daniel Fredriksson (dm)

Label / Distribution : Stunt Records

Tiens, on dirait « Don’t worry be happy”… ? Ah non c’est une composition originale du génial cornettiste Tobias Wiklund. « Existence is your perfume » : tel est en fait le nom de ce premier titre du nouvel album d’un des plus sémillants musiciens des scènes scandinaves - né en Suède en 1986, il exerce principalement au Danemark. Il narre ici le retour du soleil après que son fils de cinq ans soit tombé dans un lac lors d’un pique-nique. Mais où va-t-il chercher de telles histoires ? Certainement dans le son qui émane de son cornet. Surtout ne pas confondre avec une trompette, instrument qu’il pratique en big-band. Littéralement, cet instrument est un « petit cor » et c’est l’un des premiers instruments à pistons de l’histoire des cuivres. Souvent, quand les enfants s’intéressent à la trompette, on les fait commencer par le cornet, censément plus aisé à manipuler, autorisant des modulations plaisantes voire jouissives, et ces vibratos appétents dont le génial Danois est un as. Louis Armstrong lui-même en fit son miel à ses débuts et Don Cherry, qui avait beau dire qu’il jouait de la « trompette de poche », jouait en fait sur un cornet. Si Wiklund ne cache pas son admiration pour le premier, dont il reprend en fin de disque « That Lucky Old Sun », il n’en semble pas moins lorgner du côté du second via quelques accents délicieusement folkloriques - d’aucuns diraient balkaniques voire orientaux (« Silver Needle » délicate pièce en hommage à son thé préféré, oscillant entre chaud et froid, doux et amer, swing évanescent et bop déstructuré, « A Speck of Life » et ses micro-intervalles…).
C’est d’abord un bluesman d’exception comme tout jazzman d’excellence se doit de l’être : ainsi de son langoureux « Molnen Hopar Sig » (« les nuages se regroupent »), un thème sur lequel il se fait lanceur d’alerte puisque ce morceau lui a été inspiré par la montée de l’extrême-droite en Suède - on attend toujours qu’un jazzman hexagonal fasse de même… Sur ce disque, il s’est adjoint les services d’un brass-band composé de quatre musicien.ne.s, ce qui donne aux morceaux sur lesquels ce dernier est présent des atours d’hymnes pacifiques. Pour autant il ne s’agit pas tout à fait d’une fanfare néo-orléanaise : on a affaire ici à de délicats traits d’orchestre qui rappellent les orphéons néo-classiques. Délicatesse obligée du fait des contraintes imposées et voulues pour l’enregistrement : dans le studio, pas de cabines séparées, pas d’amplification, pas de casque. Le résultat est remarquable, jusque dans les morceaux aux inclinations bop : les interactions entre musiciens s’en trouvent démultipliées. Si le pianiste le dispute au leader dans la quête d’émotion (méchant art du contrepoint), le contrebassiste et le batteur ne sont pas en reste dans la recherche d’horizons sensibles. En sublimant la tradition, ce groupe déploie des trésors d’innovation.

par Laurent Dussutour // Publié le 18 septembre 2022
P.-S. :

Avec : Jonas Lindeborg (tp), Karin Hammar (tb), Staffan Findin (euphonium), Magnus Wiklund (tuba)