Chronique

Henry Threadgill / Brent Hayes Edwards

Easily Slip Into Another World – A Life In Music

Label / Distribution : Knopf

À bientôt 80 ans, le compositeur et multi-instrumentiste Henry Threadgill nous fait le cadeau d’une autobiographie absolument passionnante [1] .
Le musicien chicagoan, qui depuis ses débuts collabore ponctuellement avec l’AACM, a été à l’initiative de groupes qui se sont distingués par leur longévité et par leur persistance dans les mémoires. Parmi ceux-ci : Air, Sextett (oui, avec deux T), Very Very Circus, Make a Move et le toujours en activité Zooïd.
Le livre est essentiel à deux points de vue : déjà, il nous renseigne (enfin !) sur le parcours d’un musicien primordial dont la discrétion et l’humilité n’ont pas facilité la médiatisation de sa musique.
Ensuite, par ses qualités narratives et littéraires, le livre se hisse d’emblée aux cotés des classiques du genre : le Moins qu’un chien de Charlie Mingus et La Rage de vivre de Mezz Mezzrow.
Les fanfaronnades en moins. Là où le contrebassiste et le clarinettiste, d’une manière assez fatigante, ne manquaient pas une occasion de gonfler les biscotos, le saxophoniste n’hésite pas à se montrer ridicule, voire couard, face à certaines péripéties de sa vie (sa rencontre avec Ellington, ses démêlés avec la Mafia sicilienne). Celles-ci sont nombreuses et comme à chaque fois, la réalité dépasse la fiction. À titre d’exemple, c’est son écriture musicale si particulière qui est la cause directe de sa mobilisation forcée dans l’enfer de la guerre du Vietnam !
Threadgill n’aime pas parler musique. Il estime que l’écouter se suffit en soi et qu’elle n’a pas à être expliquée. Il fait donc mine de nous parler de tout autre chose mais ce qu’il raconte nous éclaire sur sa manière de composer. Il témoigne de l’Histoire des États-Unis (la discrimination raciale, Chicago, la guerre du Vietnam), de la vie de musicien dans une époque maintenant révolue, de ses rencontres souvent stupéfiantes (avec John Coltrane, Arthur Rubinstein, Yusef Lateef…).
Threadgill n’aime pas parler musique. Mais à la fin du livre, comme une sorte de testament musical et pour quelques pages seulement, il nous donne un aperçu de ses récentes découvertes harmoniques. Celles qui forgent la musique de Zooïd. Et c’est stupéfiant de simplicité, d’inventivité et de possibles.

par Hélène Gant // Publié le 3 septembre 2023
P.-S. :

[1Attention, le livre est en anglais.