Chronique

Here’s To Us

Animals, Wild And Tame

Josef Kallerdahl, contrebasse ; Lisen Rylander Löve, ténor saxophone ; Susana Santos Silva, trompette ; Nils Berg, clarinette basse et flûte.

Label / Distribution : Hoob Records

La musique de cet ensemble suédo-portugais a la faculté, rare, de faire naître immédiatement les contours d’un univers, presque palpable, une atmosphère spécifique dans laquelle l’air semble plus léger. L’instrumentation joue pour beaucoup, on y entend le souffle dominer, mais c’est plus que ça. Il y a comme une voûte architecturale qui s’élève au fur et à mesure que la musique se délie. Ce qui n’étonne guère quand on sait que la saxophoniste suédoise Lisen Rylander Löve est également à l’aise dans la création électronique et le spectacle sonore. L’impression d’une déambulation temporelle est renforcée par la pulsation scandée et impénétrable de la contrebasse de Josef Kallerdahl [1], qui évoque sans détour celle de Pierre Michelot dans Ascenseur pour l’Échafaud, notamment sur « Menniskan ».

Tantôt tournoyant, tantôt en expansion, le son compact des vents est une chimère à trois têtes, tout comme le tigre aux pieds de salamandre qui orne la pochette. Impossible de séparer ces volutes sonores qui se nourrissent les unes des autres. La portugaise Susana Santos Silva, qu’on connaît plutôt dans un registre sonore expérimental, grattant, chuintant, fait montre ici d’une clarté lumineuse dans le jeu de trompette – tuba mirum spargens sonum – et cette couleur acide tranche avec finesse avec celle très boisée et feutrée de la clarinette basse de Nils Berg.

Une fois le décor planté, une fois l’édifice en place, les musicien.ne.s (le groupe est paritaire) racontent une histoire. Celle des immigrants suédois qui, partant à la fin du XIXe siècle pour une Amérique nouvelle et prometteuse, se voient remettre un petit manuel de langue anglaise dont les items sont classés par sections : l’humain, l’esprit, l’âme, le temps, la nature, le végétal, le minéral et l’animal. Ces huit chapitres forment les huit compositions du disque.

On ne tentera pas une analyse synesthésique, ce n’est pas le propos du disque, mais on entend surtout l’expression d’une langue commune : celle des humains, des voyageurs et des contemplateurs. Les sons s’étirent, s’étiolent parfois, les timbres se mélangent au point de provoquer des harmoniques, des battements, des vibrations sympathiques. Sans forcer les ressemblances, on retrouve dans cette construction sonore très aérienne et très harmonique quelques images communes à des ensembles comme le Quatuor Machaut ou l’Ensemble Art Sonic. Mais Here’s to Us n’a nul besoin de comparaison pour briller et Animals, Wild and Tame est, à mon sens, l’un des plus beaux disques de cette année 2018.

par Matthieu Jouan // Publié le 30 septembre 2018
P.-S. :

[1Par ailleurs responsable du label suédois hoobrecords.com qui produit ce disque notamment.