Scènes

Marion Rampal, Lizz Wright : rêves de chant, chants de rêve

Nancy Jazz Pulsations 2024 # Chapitre IV - Samedi 12 octobre, Salle Poirel : Marion Rampal, Lizz Wright.


Matthis Pascaud, Simon Tailleu, Marion Rampal, Raphaël Chassin © Jacky Joannès

Le public est une fois encore très nombreux au rendez-vous de NJP ce soir. La Salle Poirel a fait le plein. Et cela ne fait que commencer car la semaine prochaine affiche un programme chargé. Demain, la foule va sans doute se masser autour du chapiteau et dans les allées du parc pour l’incontournable Pépinière en fête. On scrute la météo en espérant que la pluie acceptera de faire une petite pause. En attendant, Marion Rampal et Lizz Wright vont faire entendre leur chant, entre intimisme et tentations plus électriques.

Voilà un bout de temps maintenant qu’on aime Marion Rampal du côté de chez Citizen Jazz… On peut remonter à une bonne douzaine d’années pour retrouver sa trace aux côtés de Perrine Mansuy et ses Vertigo Songs, d’Archie Shepp qui l’avait adoubée à l’occasion d’Attica Blues, ou de Raphaël Imbert pour The Alppalachians. La chanteuse a poursuivi son chemin étonnant, dévoilant Le secret en duo avec le pianiste Pierre-François Blanchard, quelque temps après son premier album solo, Main Blue en 2017. Comme nous l’écrivions alors : « Marion Rampal est une grande, qu’on se le dise et le redise ». Ses deux dernières productions : Tissé (2022) et Oizel (2024) n’ont fait que confirmer tout le bien que nous pensions d’elle. Aussi la perspective d’écouter ce répertoire porté par la vibration particulière de la scène ne pouvait que nous réjouir. La chanteuse est entourée de l’équipe en action sur Oizel : Matthis Pascaud (guitare), qui a en outre assuré la production et la réalisation des deux albums, Simon Tailleu à la contrebasse et Raphaël Chassin à la batterie. Une tierce solide et solidaire, emmenée de main de maître par le guitariste qui fait la démonstration de l’étendue d’un jeu incisif et à fleur de blues, toujours brûlant (il s’illustre actuellement avec un autre « bluesman », l’Anglais Hugh Coltman). Car de blues, il est fortement question chez Marion Rampal, mais dans son versant onirique et confident, exprimé dans un langage qui n’appartient qu’à elle-même. Marion Rampal est un inventeuse de mots, venus d’un imaginaire très poétique et qui peuvent trouver leur source dans les souvenirs, le quotidien ou l’intranquillité de notre monde. Comme nous l’écrivions voici peu : « Les mots de Marion Rampal ont leur propre musique, ils sont sa musique. Il y a actuellement très peu d’artistes capables d’un tel accomplissement ». Toute sa musique est une déclaration d’amour qui s’autorise quelques emprunts ce soir et mettent en valeur son chant profond et habité. Ainsi « Don’t Think Twice It’s Alright » de Bob Dylan ou encore « Quand les champs brûlent » de Niagara. Marion Rampal est venue livrer un peu de son âme et c’est un beau cadeau.

Marion Rampal © Jacky Joannès

Lizz Wright est arrivée à Nancy précédée d’une réputation flatteuse. Cette native de Géorgie, qui a appris à jouer du piano et à chanter à l’église pendant son enfance, évolue dans un univers musical aux confins du jazz, du blues, du gospel, de la soul music et du folk, voire de la pop. Un très large spectre qui lui a parfois valu d’être comparée à Cassandra Wilson ou Tracy Chapman. Mais Lizz Wright est avant tout elle-même : voix puissante, habitée d’une énergie communicative, ici soutenue par un quartet acquis à sa cause : Adam Levy (guitare), Ben Zwerin (basse), Ian Edwards (batterie) et Alexis Lombre (piano et orgue Hammond). C’est une véritable fête qui commence dès l’entrée en scène de la chanteuse, durant laquelle on peut écouter différentes compositions issues de son récent Shadow (Lightyear, 2024), disque marquant par ailleurs ses 25 ans d’activité professionnelle. Le poignant « Sparrow » par exemple ou bien, dans un registre plus pop, « Who Knows Where The Time Goes », de la chanteuse Sandy Denny (qui s’illustrera avec le groupe Fairport Convention avant qu’elle ne disparaisse de façon prématurée). Lizz Wright offre en outre une version assez magistrale, très puissante de « Old Man », dont on pourra trouver un écho assez proche sur son album live Holding Space (Blues & Greens Records, 2022). Cette composition emblématique de Neil Young est l’occasion pour le guitariste Adam Levy d’imprimer sa marque par un jeu tout en fièvre. Pas perturbé du tout, ce dernier a pourtant dû batailler quelque temps plus tôt contre un câble récalcitrant imposant une réparation de plusieurs minutes. Lizz Wright a mis à profit cette pause forcée pour chanter un « Amazing Grace » a cappella de toute beauté. On imagine que ce chant aurait pu être le rappel du concert, mais avec beaucoup d’à-propos et de maîtrise, la chanteuse a su franchir l’obstacle. Durant son concert, Lizz Wright évoque un récent concert de Beyoncé auquel elle a assisté (après avoir fait le déplacement jusqu’en Californie… et quelques économies !), elle reste ébahie par le faste du spectacle. Pour ce qui nous concerne, on ne lui en demandera pas tant : qu’elle reste telle qu’elle est, vibrante et sincère. Elle aussi, tout comme Marion Rampal, a livré une part de son âme à Nancy.

Lizz Wright © Jacky Joannès