Chronique

Qüntêt feat. Desdamona

Crosswords

Jean-Louis Pommier (tb, voc), Desdamona (voc), Alban Darche (ts, as), Remi Sciutto (ss, bs, cl, fl), Alain Vankenhove (tp), François Thuillier (tu), Christophe Lavergne (dms)

Label / Distribution : Yolk Records

Le tromboniste est toujours un peu vocaliste. Le timbre de l’instrument où excelle Jean-Louis Pommier, si proche de la voix, et sa propension à être volubile créent parfois l’illusion du discours parlé. Une impression d’autant plus vivace que celui-ci évolue dans une atmosphère de Brass Band, au milieu de soufflants que seule une batterie départage. Pas n’importe quelle rythmique par ailleurs, puisque c’est la polyrythmie agile de Christophe Lavergne qui est convoquée. Il donne un allant remarqué à la discussion entre piliers de Yolk, de ceux que l’on retrouvaient dans Le Gros Cube, auquel on songe souvent. A Pommier et Lavergne s’ajoutent Alban Darche et Alain Vankenhove qui construisent tous ensemble, sur un morceau comme « Une journée compliquée / Complicated Day » une œuvre ciselée, luxueuse, extrêmement ouvragée à laquelle s’ajoute le tuba de François Thuillier et la flûte de Rémi Sciutto, nouveaux venus qui apportent du relief, pour un septet qui ne dit pas son nom. Qüntêt, qu’une tête, dissimule son nom à merveille. Ce sont bien cinq soufflants, une voix et un batteur qui animent ce cinq à sept.

Car sur ce troisième album de Qüntêt, que l’on n’avait pas entendu depuis 2009, à une époque ou Médéric Collignon faisait partie de l’orchestre, les voix se mêlent au jeu. Celle du trombone, on l’a dit, mais également du tromboniste qui slame de manière assez neutre et de son invitée, la rappeuse Desdamona, dont le ton est aussi doux que le chant est aiguisé. C’est le sujet de Crosswords : croisement des mots et des situations, mélange des langues et des allitérations, carrefour des histoires tel un film choral qui prendrait naissance au carrefour central d’une grande ville. Une comédie musicale même, tant des titres comme le lumineux « How Many Times / Last Inkling » ou le grinçant « Tout le temps coupable » sont des trames scénarisées qui empruntent énormément au registre de la chanson. Dans ce dernier morceau, Desdamona ponctue le texte de Pommier de quelques virgules anglophones qui se perdent, elle répond aux interrogations métaphysiques du tromboniste sur le monde moderne qui rappelleront l’atmosphère familière de big bands tels que Rêve d’Éléphant Orchestra.

La force de cette figure du Hip-Hop de Minneapolis est de se fondre dans quasiment toutes les expressions avec une aisance désarmante. Au sein de Ursus Minor ou avec son alter ego Carnage The Executioner, les choses se font naturellement, mais sa récente participation aux Chroniques de Résistance en a fait une égérie de la scène française du jazz et des musiques improvisées. Ici, elle parvient à imposer sa scansion au scalpel sur le justement nomme « Tension Palpable/Tension » où le jeu de Pommier est d’une clarté remarquable. Rien ne paraît plus simple pour elle au milieu de ces musiciens foncièrement marqués par le travail de Steve Coleman. On croit même voir renaître les Metrics sur un « Quiet, You Got to Keep Quiet » jouissif, qui semble partir en tout sens et pourtant s’avère parfaitement maîtrisé, déroulant une énergie communicative au service d’une écriture très précise. On se délecte de ces mots croisés qui donnent d’avantage envie de s’égayer que de s’asseoir dans un fauteuil club avec des chaussons en laine et un crayon à gomme. On peut s’en féliciter.