Scènes

Raphaël Imbert ou l’art de la fusion

Nancy Jazz Pulsations – Chronique 1 – Jeudi 11 octobre 2018, Basilique Saint Epvre – Raphaël Imbert Project « Bach Coltrane »


Photo © Jacky Joannès

C’est la première fois que Nancy Jazz Pulsations investit l’un des édifices religieux les plus célèbres de Nancy. Il y a quelques années, le festival avait poussé les portes de la Cathédrale pour y faire entendre la musique de Jan Garbarek. Cette fois, Bach et Coltrane sont au programme, à l’instigation de Raphaël Imbert.

Même si le gothisme de la Basilique Saint Epvre est un poil apocryphe, je me dis que le lieu en impose et incite au chuchotement, voire au silence. Au beau milieu de ce décorum, il y a de quoi mettre en scène avec ce qu’il faut de grandiose et d’élévation le travail imaginé par Raphaël Imbert et son complice organiste André Rossi voici une quinzaine d’années. Et dès les premières notes, à l’écoute du chant porté par la voix de Jean-Luc Di Fraya (par ailleurs percussionniste), venu du fond de la nef, on comprend que le défi consistant à relier les univers de deux compositeurs aussi formellement distincts que Jean-Sébastien Bach et John Coltrane sera relevé. On le savait, de toutes façons, le saxophoniste en avait administré la preuve avec un disque sorti il y a plus de 10 ans et dont les ventes sont plus que respectables…

Deux mystiques, deux musiciens portés par un besoin d’improvisation, deux créateurs dont le rythme se ressent plus qu’il ne se compte en mesures… Bach vs Coltrane ou plutôt Bach avec Coltrane. Ils regardent vers le Très Haut, sans doute, mais pas besoin d’être un fervent pour goûter au plaisir de cette fusion des époques et des styles. Heureusement pour moi, d’ailleurs.

Raphaël Imbert © Jacky Joannès

Raphaël Imbert, non content d’être un musicien passionné, est un pédagogue qui prend le temps d’expliquer, de raconter l’histoire de ces deux géants. Il prévient : « Attention, nous allons jouer du free jazz », comme si cette appellation risquait d’apeurer le public réuni en ce lieu d’ordinaire propice au recueillement. Art de la fugue, Martin Luther King, Duke Ellington, negro spiritual, choral… C’est un tout savamment mélangé, on passe d’un monde à l’autre sans même s’en rendre compte. Le Quatuor Manfred n’a que faire des étiquettes et joue « Crescent » avec le même naturel que le « Neuvième Contrepoint » de L’Art de la Fugue. L’orgue d’André Rossi, caché derrière l’autel, confère au concert sa dimension cérémonielle (j’hésite à employer le mot « religieuse »). Raphaël Imbert passe du saxophone ténor à la clarinette basse, il glisse malicieusement un peu d’Ornette Coleman (« Lonely Woman ») au beau milieu d’une improvisation sur « Song Of Praise » de Coltrane. Jean-Luc Di Fraya émeut lorsqu’il chante une passion, celle de « He Nevuh Said A Mumblin’ Word », un gospel poignant, l’un des moments forts de la soirée. Chacun retient son souffle, moi le premier...

Il y a beaucoup de sourires sur scène, de vraies amitiés sont en action. Autour de moi, quelques phrases s’échappent qui disent : « C’est beau ». Ah Coltrane, ah Bach ! Je devine çà et là quelques réticences face au phrasé parfois déchiré de Raphaël Imbert, lorsque son saxophone hurle (fugitivement) d’exaltation. Qu’importe…

Chacun·e aura pu ressentir une vibration très singulière et comprendre ce que Raphaël Imbert disait en son temps : « Je souhaite faire résonner les liens spirituels et dynamiques que partagent des univers musicaux apparemment distincts et personnels, en soulignant des affinités communes insoupçonnées ».

Mission accomplie à Nancy !

par Denis Desassis // Publié le 12 octobre 2018
P.-S. :

Sur scène :

  • Raphaël Imbert (clarinette basse, saxophone ténor), Pierre Fenichel (contrebasse), Jean-Luc Di Fraya (percussions, chant), André Rossi (orgue), Quatuor Manfred : Marie Bereau (violon), Luigi Vecchioni (violon), Emmanuel Haratyk (alto), Christian Wolff (violoncelle).

Sur la platine :

  • Raphaël Imbert Project : Bach Coltrane (Zig Zag Territoires 2007)