Chronique

IsWhat ?!

Big Appetite

Napoleon Maddox (rap, beatbox), Jack Walker (sax), Killa-O (b), Joe Fonda (b), Hamid Drake (dm), Cochemea Gastelum (sax)

Label / Distribution : Discograph

Jazz et rap, ce cousinage réputé impossible aura animé les discussions stériles des amateurs de musique et alimenté les fantasmes des taxidermistes, qui voudraient ranger tout ce petit monde dans des cases aussi ennuyeuses qu’hermétiques. Pourtant, depuis les rencontres fructueuses de Matthew Shipp avec les New-Yorkais d’Antipop Consortium, la cause semblait entendue. Oui, le hip-hop est soluble dans le jazz, comme presque toutes les musiques, du moment que la fusion ne se fait pas à froid ou que le but n’est pas d’afficher une modernité plaquée et ostentatoire. Au mieux celle-ci masque l’absence de discours ; au pire, elle ringardise le musicien persuadé d’avoir été futé en évangélisant la jeune génération, forcément ignare. On évitera, pour ne point se fâcher, les exemples d’incommunicabilité béate ou de « coup » commercial manqué !

Comme souvent, c’est Archie Shepp, en bon unificateur de toutes les musiques noires, qui a mis tout le monde d’accord lors de sa participation au disque du rappeur français Rocé, ou en enregistrant avec Chuck D. ou encore le rappeur du groupe IsWhat ?!, Napoleon Maddox, en retournant la question : « Les jazzmen sont-ils solubles dans le hip-hop » ? La réponse est la même. Et c’est IsWhat ?! qui enfonce le clou avec ce troisième album, qui creuse plus profondément les sillons du hip-hop avec des invités venus d’horizons très différents - du rappeur Boogie Bang à Hamid Drake. Manifestement enthousiaste, Drake apporte à la fois sa science et son amour de toutes les musiques ; son jeu polymorphe fait de véritables miracles sur le morceau d’ouverture, « Dig ». Il retrouve ici, comme sur le live italien d’Archie Shepp, le contrebassiste Joe Fonda dans un virulent durcissement rythmique du trio de base IsWhat ?!.

Concrètement, il n’est pas si étonnant de retrouver ici ces deux grands improvisateurs. D’abord parce que le son se nourrit de tous les courants et recherches de la great black music, mais aussi parce que ces deux géniaux iconoclastes vivent avec plaisir l’immédiateté d’un groove induit par le beatboxing de Napoleon Maddox. Cet authentique jazzman instinctif cherche dans un autre univers musical un scat réduit aux impacts rythmiques… une rythmique dont la scansion parfaite évoque des spécialistes du genre, de Saul Williams à Razhel. New York ? Non, Cincinnati, Ohio.

Car c’est là qu’est né IsWhat ?!, suite à la rencontre de Maddox et de Jack Walker, saxophoniste de l’âge d’or du funk qui lui confère son son organique et brillant. Le groupe s’inscrit dans un hip-hop que les spécialistes qualifieront d’« old-school » et qui penche résolument vers la côte Est des USA (« Homestead » ou « Cats », où la troisième lame du trio, le bassiste Killa-O durcit un peu plus le groove naturel). Une côte Est qui tend à vouloir franchir l’Atlantique pour se parer d’atours britanniques à la Ninja Tunes, label anglais où le mélange est le moteur d’une certaine vision du hip-hop (Blackalicious, éclaireurs de la musique que défend IsWhat ?!, ou Antibalas, le groupe de Cocheme’a Gastelum, qui pose également son joli son de ténor sur Big Appetite).

Alors, Big Appetite, énième album de hip-hop teinté de jazz voulant faire croire à la fusion ultime ? Plutôt un vrai disque de hip-hop qui se sert du jazz comme socle. Une démarche tout de même plus intéressante.