Chronique

Jacques Vidal

Cuernavaca

Jacques Vidal, cb ; Isabelle Carpentier, voc ; Pierrick Pedron, as ; Daniel Zimmermann, tb ; Xavier Desandre-Navarre, dm, perc ; Nathalie Jeanlys, Stéphanie Bowring, Allen Hoist, Thierry François, voc

Label / Distribution : Abeille Musique

Cuernavaca, au Mexique, c’est là qu’est mort Mingus en 79. Gil Evans, aussi, dix ans plus tard. Et quelques autres célébrités, dont Malcolm Lowry, auteur d’Au-dessous du volcan. Jacques Vidal, lui, est bien vivant, merci. Ce qui nous vaut cet album magnifique, justement intitulé Cuernavaca puisqu’en hommage à Charles Mingus. Une triple récidive, après Mingus Spirit (2006), puis les Fables of Mingus que nous avions saluées ici-même avec enthousiasme, tant dans leur version enregistrée que sous la forme live. Mêmes musiciens talentueux, augmentés d’un chœur de quatre chanteurs, ce qui n’est pas banal pour célébrer celui qui jamais n’en appela à la voix.

Jacques Vidal ne donne pas dans la dévotion. S’il considère le maître, c’est en tant que référence, et non en tant que gourou. Et quelle référence ! Ne lui doit-on pas, en grande partie, le devenir du jazz jusqu’à ses formes actuelles ? Il est curieux, à cet égard, qu’en ces moments d’errance générale il revienne sur le devant de la scène jazzistique. Non pas comme un épiphénomène, une mode - non, vraiment comme le point de repère : celui qui a décloisonné les genres, qui a ouvert le jazz au transgenre, dépassant les querelles de courants et de chapelles. D’Armstrong au free en passant par Ellington, Ornette Coleman, Lester Young et le gospel – liste non exhaustive –, Mingus a parcouru le jazz au long cours pour finalement le magnifier dans l’invention et l’audace.

Louis Sclavis a lui aussi rendu, sur les ondes de France Inter (Summertime, 7/9/14), un vibrant hommage à Mingus, qu’il a qualifié de « fondateur ». Pourquoi ? Moins par attrait pour la contrebasse – lui le basso-clarinettiste – que pour célébrer l’homme et le musicien, indissociables. On l’a dit de bien d’autres, en tenant compte de leurs contradictions - pensons par exemple à un autre contrebassiste, disparu il y a peu, Charlie Haden. Lui aussi – belle convergence avec Mingus – portait un regard universaliste sur la musique qui, estimait-il, provenait d’un même endroit et, de ce fait, ne devrait pas se diviser en catégories.

Jacques Vidal, donc - comme si on s’en était éloigné - s’explique ainsi sur son Cuernavaca : « Je n’ai pas cherché à “interpréter” Mingus, à jouer sa musique à l’identique, mais à la restituer avec des arrangements qui me permettent, sans le contredire, en gardant le fond - son énergie caractéristique -, d’apporter ma sensibilité, ma culture, mes références. » Objectif atteint, pleinement. « Il » est là par l’esprit musical, essentiel, tandis que ce quintet augmenté le recrée et lui donne un élan différent. Le disque réinterprète des morceaux de Charles – il détestait qu’on l’appelât Charlie, « un nom de cheval »… – souvent devenus des standards : « Better Git It In Your Soul » et, bien sûr, « Good-bye Pork Pie Hat », composé et joué le soir même de la mort du « Prez », le génial sax-ténor au drôle de chapeau. Jacques Vidal offre alors son « For Lester » à lui, ainsi que son « Strange Man », un « thème étrange pour un Mingus qui ne l’était pas moins » ; les couleurs y sont vives, bousculées dans une rythmique fofolle finissant en valse.

La route est sûre, bien bordée par la basse et la batterie. Pierrick Pedron et Daniel Zimmermann se régalent. Isabelle Carpentier aussi. Dans « For Lester », justement elle donne à entendre un bel extrait du Mingus, Cuernavaca d’Enzo Cormann, tandis qu’à l’archet, Vidal tutoie la « gravitation universelle ». Reste plus qu’à dire « Good-bye ».