Chronique

Jaimie Branch

FLY or DIE II

Lester St.Louis (cello), Jason Ajemian (b), Chad Taylor (d, xylo)

Label / Distribution : International Anthem

Enregistré en conditions de concert à Londres lors de sa tournée européenne de 2018, ce deuxième album de Jaimie Branch qui se présente comme le volume deux de FLY or DIE s’ouvre sur une comptine enfantine toute douce, aux couleurs boisées et feutrées.

Le groupe de la trompettiste est particulier par son instrumentation : Lester St. Louis au violoncelle (souvent en pizzicato), Jason Ajemian à la contrebasse et Chad Taylor à la batterie et au xylophone.

Sur cet album Jaimie Branch a également écrit des paroles qu’elle chante.
On oscille d’un groove lent et appuyé à quelques échappées plus free, avec des incursions dans les ambiances latines ou dans le spoken word. Mais de manière plus large, c’est surtout une musique qui plonge profondément dans les racines du jazz, comme une mèche dans une lampe à pétrole. Radicale et politique, la musique de FLY or DIE II interroge surtout sur la marche de notre monde. En jouant ce style de jazz très blues et harmonique, la trompettiste se place dans la droite lignée de Charles Mingus, Archie Shepp et Nina Simone, des musicien.ne.s qui à leur manière ont su dénoncer les injustices de leur époque. FLY or DIE II, c’est les « Fables of Faubus » d’aujourd’hui, c’est « Attica Blues », c’est « Mississippi Goddam » !

Avec « prayer for amerikkka » et cette basse entraînante et entêtante, elle dénonce la situation politique actuelle aux USA, celle de Donald Trump qui enchaîne sur une histoire de jeune migrante qui croupit dans une prison du Texas où elle tentait de passer la frontière. Tout le long, la musique épouse la forme de la colère, monte en puissance, gronde, éclate ou se détend dans quelques interludes de toute beauté, pour passer d’une ambiance à l’autre - et c’est bien nécessaire.
Le titre « bird dogs of paradise » (qui donne le sous-titre à l’album) est une belle improvisation collective, live, dans laquelle la participation du public donne à la musique (un long solo de batterie électrise tout le monde) une dimension charnelle. Le morceau s’enchaîne avec le suivant et on retrouve là encore les petites antiennes mélodico-rythmiques, earworms persistants dont elle sait jouer.

L’album se clôt sur l’une des plus belles chansons entendues ces dernières années, une douce mélodie, en miroir au morceau d’ouverture, sur laquelle elle chante comme un mantra cette « love song for assholes and clowns »… une chanson d’amour pour les connards et les bouffons. Suivez mon regard.

Comme d’habitude avec les disques du label International Anthem, on peut se procurer l’album en vinyle et même s’offrir les séries limitées. Jaimie Branch, en plus de la musique et des paroles, réalise aussi le dessin et une partie de la pochette.

Cet album est d’une grande force, d’une solidité évidente. Il porte à la fois l’héritage du jazz et de la contestation politique, mais également les germes et les bourgeons de ce que le jazz est en train de devenir : une méta-musique universelle qui après avoir engendré et nourri abondamment les styles musicaux des années 60, 70 et même 80 se les réapproprie, les réintègre, les mange, les dévore, tel Cronos.

par Matthieu Jouan // Publié le 15 décembre 2019
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