JeJaWeDa

Il y a quelques semaines nous écrivions à propos de Jaap Blonk, de passage au Souffle Continu : « Une forme de théâtre ? Non, toujours de la musique, certes minimale lorsqu’il s’empare d’un chant sans note, d’un discours sans mots, voire sans syllabes à l’image du celui du poisson ». Ainsi est le poète néerlandais, sorte de fusion entre Steve Dalachinsky et Phil Minton, capable d’accompagner les improvisateurs les plus fougueux ; on en a un exemple patent dans ce JeJaWeDa, quartet qui porte les premières syllabes des prénoms de ces membres. A commencer par Jeb Bishop, étincelant dans cet exercice où il nous rappelle que nous l’avions aimé dans The Flame Alphabet. Le contexte dans le roboratif « Workout » n’est guère différent, outre cette nouvelle collaboration avec un artiste européen [1] : coulisse forcenée et saignante, capacité à tout dynamiter mais aussi à enluminer les ronflements et le babil de Blonk avec une énergie qui aime l’entropie, jusqu’à prendre parfois le chemin d’une délicieuse outrance.

Vocaliste et tromboniste sont bien aidés en cela par une base rodée, chevronnée et gourmande. Entre le batteur Weasel Walter et le contrebassiste Damon Smith, l’histoire est ancienne ; on les a entendus avec Vinny Golia ou Peter Evans, mais aussi avec Jaap Blonk déjà pour des improvisations radicales. Walter a une frappe lourde, marquée par le rock. Sur l’intense « Pull », alors que le trombone de Bishop va chercher dans les profondeurs de l’embouchure, il fait pourtant tinter de nombreuses percussions, avec une volonté d’insuffler quelques turbulences pendant que Smith rejoint Bishop dans les basses. L’usage de l’électronique par Blonk, davantage comme annonciatrice de chemins aléatoires vers des itinéraires bis que comme véritable élément perturbateur, permet à ces Pioneer Works de toujours se tenir sur un fil entre avant-gardisme contemplatif et exubérance explosive (« Cooldown » où le jeu supporte toutes ses expressions).

Paru chez Balance Point Acoustics et disponible sur BandCamp, les deux volumes des Pioneer Works de JeJaWeDa offrent un magnifique panorama de tout ce que les musiques improvisées peuvent charrier comme émotion et comme étonnement. Dans « Curl » par exemple, les dialogues fugaces entre Damon Smith et une électronique invasive permettent à Bishop et Walter de se concentrer sur un fiévreux face-à-face et à Blonk de libérer ses cris, ses borborygmes et ses souffles avec un sens des images particulièrement aiguisé. L’équilibre peut sembler précaire, mais il offre de nombreux terrains de jeu. Un moment délicieux.