Chronique

Jean-My Truong

Secret World

Jean-My Truong (dms), Nicolas Calvet (voc), Sylvain Gontard (tp, bugle), Leandro Aconcha (p, kb), Pascal Sarton (elb) + invités *

Label / Distribution : Quart de Lune

Secret World est le nouveau disque du batteur Jean-My Truong, ainsi pourrait-on exposer les faits simplement.
Est-ce bien toutefois la meilleure manière d’appréhender la démarche de ce musicien au long cours ? Lui qui, à peine sorti de l’adolescence, jouait aux côtés de Joachim Kühn ou de Jean-François Jenny-Clarke. Déjà bien avisé, il suivra les précieux conseils de ce dernier, qui feront de lui un musicien professionnel. On se souvient aussi de sa présence au sein de Perception et son free jazz débridé, au début des années 70, avec Didier Levallet, Yochk’o Seffer et Siegfried Kessler. C’est vrai qu’il n’était qu’un tout jeune homme, quand on y songe…

Alors, face à cet album dont la pochette le montre baguettes en mains, lui devenu un homme mûr aux allures d’Indien, dans une posture méditative et de paix, ne faudrait-il pas plutôt évoquer l’idée d’un accomplissement, au sens le plus existentiel de l’idée de réalisation ? Sans nul doute, tant ce disque, qui fait suite à The Blue Light (Absilone, 2012) en hommage à Miles Davis, est, sinon une œuvre à part, du moins le résultat d’une quête de nature ontologique. N’ayons pas peur des mots en ces temps troubles et violents : Secret World coule comme une source heureuse – presque un défi lancé à l’absurdité des hommes – dont la sérénité provient en droite ligne de la « petite lumière au plus profond de chaque être humain ».

De l’humain, il est fortement question ici avec la présence de musiciens amis de longue date, à la façon d’une cellule indivisible formée par les fidèles au grand pouvoir lyrique que sont Sylvain Gontard (trompette et bugle), Leandro Aconcha (piano et claviers) et Pascal Sarton (basse). Un trio auquel vient se greffer cette fois Nicolas Calvet, géant tubiste toulousain, qui met sa voix Mc Ferrinienne au service d’un jazz rock fertile et bondissant, propulsé par les rythmiques impaires si caractéristiques de l’univers de Jean-My Truong (écoutez « Dance Of Ganesh », « Seven And Five » ou « The Hidden Sun » par exemple) ; celles qu’il célèbre depuis la désormais lointaine époque du groupe Zao (fondé en 1972 par François Cahen et Yochk’o Seffer après leur départ de Magma). Un jazz de la migration, imprégné de cette Inde si chère au cœur du batteur et propice à bien des voyages, intérieurs en particulier. Ce grand foyer de civilisations est ici présent non seulement à travers une série de thèmes lumineux, tel celui de « Bengali Friend », mais aussi par la présence de deux musiciens, Neyveli Radhakrishna et Balakumar Paramalingam. Sans oublier le concours de Dominique Di Piazza le temps d’un « Indian Journey » qu’il éclabousse de son talent (qui est immense, faut-il le rappeler ?). Le bassiste se présente ici comme le trait d’union entre Jean-My Truong et John McLaughlin, que le batteur admire depuis longtemps et auquel il rend un hommage appuyé : l’introduction et le quatuor à cordes de « L’oiseau céleste » évoquent en effet sans la moindre ambiguïté le mythique Mahavishnu Orchestra créé par le guitariste au début des années 70, groupe qui demeure probablement sa formation la plus charismatique (et mystique).

Le cœur : la pulsation de Jean-My Truong vient de là et de nulle part ailleurs, comme le démontre le lumineux « Heart Song ». C’est elle qui prête vie à ses rythmiques mouvantes et polyphoniques. Avec l’humilité qui le caractérise, le batteur ouvre en grand les portes d’un monde secret, le sien mais qui est aussi le nôtre, un monde peuplé de songes habités de rêves d’enfants (« The Dream Of A Child », « A New Soul ») ou d’une « Pluie d’étoiles ». La force des amitiés abolit les frontières, Occident et Orient ne font plus qu’un, et la musique, toutes voix élevées dans un même élan, vient sonder les profondeurs de l’âme. L’homme est réconcilié avec lui-même par le chant.

par Denis Desassis // Publié le 25 septembre 2016
P.-S. :

Invités : Neyveli Radhakrishna (vln), Balakumar Paramalingam (mridangam), Dominique Di Piazza (elb), Fanny Lévêque (vln), Elena Mineva (vln), Noémie Airian (alto), Alexandre Lacour (cello).